Citroën 2cv et C35 "JCDecaux" au 1/43e


Vouloir commercialiser des utilitaires aux couleurs de marques du passé, c'est vendeur. Vous renforcez la fibre nostalgique. Parce que vous avez grandi en face d'un panneau publicitaire de telle marque ou parce que, sur le chemin de l'école, vous passiez devant tel magasin, à moins que ce soit vos parents qui aient travaillé dans telle entreprise... Bref, on entre dans l'histoire intime. Mais pour un distributeur de miniatures comme Altaya, c'est aussi une source d'emm... Euh... D'embêtements. Car non seulement vous vous retrouvez face à deux entités. Non seulement vous devez obtenir l'imprimatur du constructeur de la voiture que vous reproduisez. Mais en derrière, vous devez convaincre une entreprise d'accepter d'apposer son nom dessus. Or, la plupart des entreprises - surtout si elles ne vendent pas auprès du grand public -, possèdent peu d'attachement à leur propre marque. Parfois, même, elles refusent que leur anciens logos ou des marques disparues, mais dont elles possèdent l'usufruit, apparaissent. Alors lorsqu'Altaya a convaincu JCDecaux, pour sa collection d'utilitaires Citroën, il rentabilise cela avec non pas un, mais deux véhicules !

Citroën 2cv AZU "colonne Morris"

Le commerce "B to C" remontent aux premières lueurs de l'humanité. Lorsque les gens se sont sédentarisés, formant les premiers villages. Comme tout le monde n'était plus obligé de tout faire, certains se sont spécialisés, offrant biens et services aux autres.
Pendant des siècles, c'était le règne de l'artisanat. Le producteur était souvent son propre vendeur. Son rayon d'action était local. De toute façon, la grande majorité des adultes étaient illettrés. Faire de la publicité n'avait aucun sens.

La Seconde Révolution Industrielle bouleversa les équilibres économiques et sociaux. On voyait apparaitre des biens d'équipements, toujours plus complexes. Même la nourriture évoluait avec les premiers produits transformés ! Les fabriques produisaient beaucoup plus qu'elles ne pouvaient écouler localement. Alors, il fallait promouvoir ses produits.
L'industrie fut aidée par un concours de circonstances. Une population davantage alphabétisée, y compris dans les campagnes. Et grâce à la lithographie, on savait désormais faire des affiches toujours plus perfectionnées, incluant différentes polices de caractère, des dessins, de la couleur et plus tard, des photos (cf. les célèbres affiches "Wanted" des western.) Les premiers industriels pouvaient donc faire connaitre leurs produits. C'était aussi le temps des premiers slogans.
Mais la conséquence, c'est que les rues étaient envahies d'affiches, collées n'importe où, n'importe comment. Les maires se préoccupaient désormais de l'aspects de leurs communes. Gabriel Delessert, préfet de la Seine, eu une idée, en 1839 : limiter l'affichage à l'extérieur des urinoirs, placés dans Paris par son prédécesseurs. On parlait de colonne moresques. Les affiches devaient être collées sur des panneaux en bois dédiés.
Très vite, les urinoirs s'avérèrent insalubre, malgré des tentatives d'améliorations. Face à un problème similaire à Berlin, Ernst Litfaß créa une colonne métallique, en 1854. En 1868, le comte Baciocchi, un ministre de Napoléon III, lança un appel d'offres pour un support d'affichage. Richard Morris et son fils Richard-Gabriel copièrent la colonne de Litfaß et l'améliorèrent. Ce fut la colonne Morris, dont le nom était proche de l'ancienne colonne moresque, par un pur hasard.

Felix Baciocchi est décédé avant que l'appel d'offre ne soit attribué aux Morris. Fait intéressant, il n'était pas préfet ou maire du Paris, mais en charge de ce qui allait devenir, en 1870, le ministère des Lettres, Sciences et Beaux arts. L'actuel ministère de la culture.
D'où une coloration très artistique aux colonnes Morris. L'époque était justement aux développements des théâtre, salles de spectacle et plus tard, cinéma, dans la capitale. Les colonnes Morris furent donc le support d'une vie culturelle parisienne foisonnante.

En 1862, six ans avant les premières implantations de colonnes Morris, Saint-Malo ouvrait son musée d'Histoire de la Ville et du Pays Malouin. En 1927, il déménagea dans la tour de Quic-en-Groigne du château de Saint-Malo.
Ce château avait été construit alors que Saint-Malo était en lisière du Royaume de France. Il ne servait pas tant à protéger les Malouins d'une invasion extérieure, qu'à protéger les Français d'un soulèvement Breton. D'où cette tour "Quic-en-Groigne", du vieux Français "Qui en grogne ?" (autrement dit : y'en a qui sont pas content ? Viens ici, on t'attend !" Ce que les Malouins finirent par faire, en 1590...

Les Congés payés furent instaurés en 1936. Mais à l'époque, peu de Français avaient les moyens de partir en vacances. Il fallu attendre les Trente Glorieuses pour que l'on voit les premières migration estivale. Mais il n'était pas question de farniente ! Les vacances des années 60 se devaient d'être soit culturelle, soit bienfaisantes pour la santé.
Saint-Malo avait donc du culturelle à proposer : son musée d'Histoire de la Ville et du Pays Malouin ! Pour souligner le côté culturel, le musée se dota de cette étonnante 2cv pick-up. La colonne Morris renvoyait donc au panneau d'affichage des spectacles parisiens... Mais surmonté d'un relief rappelant la tour Quic-en-Groigne. Une manière de cibler les touristes Parisiens.
Le musée lui-même n'avait rien d'un grand spectacle. Des dioramas statiques, quelques peintures et des objets dans des vitrines. Sachant que le sujet lui-même du château de Saint-Malo n'était pas très sexy. Par la suite, le musée fut agrandi, débordant sur le donjon. Il ferma en 2019. Un nouveau musée, l'Hydro, davantage centré sur la mer, doit reprendre une partie des collections de son prédécesseur. Après sept années de reports, l'Hydro vient tout juste d'ouvrir ses portes...

Comme d'habitude, Altaya est chiche en informations sur la vraie. Il n'y a même pas de photos !
Les 2cv pick-up sont maudites. Celles de Slough, en 1953, commandées par la Royal Navy, on été jeté à la mer. En 1954, la Carrosserie Commerciale de Paris proposa sa propre 2cv pick-up. L'année suivante, Citroën emboita le pas avec une création officielle, vendue à dose homéopathique. Google cite aussi les création de SAPA et ENAC.
Le plus étonnant, c'est cette vitre de custode, derrière les portes. Sur une 2cv, les sièges avant sont légèrement en retrait du montant B. Voilà pourquoi on ne peut pas faire un décrochement net derrière les portes, pour un pick-up. Mais pourquoi installer cette vitre de custode ? Cela trahit une réalisation artisanale.

La reproduction fut a priori réalisée par Ixo. L'avant est plutôt moyen. Le capot est trop long et la calandre, trop inclinée.
Reste un véhicule très étonnant.

Citroën C35 Girafe JCDecaux

Les colonnes Morris n'ont pas arrêté l'affichage sauvage, au contraire. Le besoin en communication était exponentiel. Les affiches faisaient des mécontents. Les pouvoirs publics, bien sûr, se plaignaient de l'invasion de l'espace public. Mais certains annonceurs n'étaient pas satisfait. Les affiches se déchiraient, perdaient leurs couleurs, etc. Et la marque se retrouvait dévalorisée, voir ridiculisées. Quant aux peintures murales, c'était un investissement sur le long terme (au point où certaines ont survécu à leurs annonceurs.) Impossible de les utiliser pour des campagnes ciblées.

Jean-Claude Decaux était fils de marchands de chaussures de Beauvais. En 1952, à 17 ans, il eu une idée pour développer les ventes : coller des affiches dans tout Beauvais ! Une femme lui aurait reproché de salir la ville, avec ses affiches.
Jean-Claude Decaux aurait ensuite réalisé qu'il n'existait pas de support légal. Ca lui donna l'idée de créer des supports publicitaires. En 1955, il créa la société JCDecaux et installa des panneaux au bord des autoroutes. Mais le tournant eu lieu en 1964, avec le mobilier urbain. Il démarcha les collectivités, proposant de transformer une nuisance (l'affichage sauvage) en source de revenu. Ainsi, en rajoutant un panneau publicitaire sur un abribus, c'est l'annonceur qui le finançait. De même, il créa un plan de la ville avec une publicité au dos. JCDecaux fit appel aux architectes en vue, afin de donner un look moderne à son mobilier urbain. Ses produits s'intègrent bien, là où les 4x3 classiques sont taxés de pollution visuelle. Dès les années 70, Jean-Claude Decaux marchait sur l'eau.

Jean-Claude Decaux était un perfectionniste. Chaque matin, les voitures devaient être nettoyées de fond en comble. Et bien sûr, il imposait une présentation impeccable, avec une charte graphique. Le business se développant, JCDaux s'offrait le dernier cri. Notez qu'il leur enlève les logos : "La seule marque présente, ça doit être la mienne."

JCDecaux, ce sont 2200 véhicules. Avec les taux de rotation classique, il pèse très lourd dans les achats de VU Français.
Pour l'anecdote, j'ai rencontré le directeur de la flotte JCDecaux. C'était dans une after after work. On était en boite de nuit et il était très, très tard. Mon entreprise avait fait privatisé un carré VIP, dans une boite de nuit. Un homme m'aborde et malgré la musique, il commence à me parler de business en Chine. En temps normal, c'est mon sujet préféré. Mais là... Je l'ai envoyé promener et par la suite, j'ai découvert que c'était le directeur de la flotte JCDecaux. Quand je l'ai revu le lendemain, j'aurais voulu me cacher au fond d'un trou !


Dans les années 50, il y eu beaucoup de tâtonnements autour des fourgons. Tant en Allemagne, qu'en France, en Grande-Bretagne ou en Italie. La plupart des acteurs y voyaient un camion miniature. D'où la tentation de s'appuyer sur le savoir-faire d'un constructeur de PL (Hanomag, MAN, Saviem...) Le Ford Transit Mk1 mit tout le monde d'accord. Beaucoup voulurent faire leur propre Transit. BL alla jusqu'à débaucher l'équipe projet du fourgon à l'ovale bleu !
Fiat voulait à son tour s'inspirer de l'utilitaire britannico-germanique. Il se tourna vers Lancia V.I., alors sur une voie de garage. Citroën, alors allié via PARDEVI, rejoignit le projet. Il mit les moteurs essence et diesel de la CX, dans la corbeille. D'après Citroën, les ex-Lancia V.I. avaient explosé le prix de vente. Citroën fut chargé de corriger le tir. Le Fiat 242/Citroën C35 fut lancé en 1974. C'était le premier fourgon avec suspension à quatre roues indépendantes et quatre freins à disques. Pour l'anecdote, il fut produit chez Fiat Materfer, à Turin, jusqu'en 1987. Un site de fabrication de Matériel Ferroviaire.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'au milieu des années 70, le C35 fichait un sacré coup de vieux aux Peugeot J9 et Saviem SG2. JCDecaux se devait d'avoir une flotte de C35. Ils furent rapidement remplacés par des Renault Master, qui disposait lui, d'un turbo-diesel.

Comme beaucoup d'entreprises de B to B, JCDecaux sous-estime son attrait auprès du grand public. Il existe ainsi peu de miniatures aux couleurs de JCDecaux. Pourtant, les pépites ne manque pas. Je pense à un superbe Renault Master en version minibus, surélevé et entièrement vitré (pour les visites du show-room de la marque.) Une création Gruau. Design Pool avait dessiné un Renault Master argenté baptisé "Mairie Mobile", afin d'en faire un démonstrateur itinérant. Il y avait aussi les Renault Midlum et Magnum, chargé de la livraison du mobilier.

Ce C35 est donc l'une des premières miniatures mettant vraiment en valeur la marque. En espérant que ce C35 débloque quelque chose au service communication de JCDecaux. Et qu'a minima, ils ouvrent une section "historique" sur leur site.


Altaya a décidé de ne pas reproduire une simple camionnette de livraison. Ce C35 est un porte-nacelle, alias une girafe. Les Trente Glorieuses, c'était aussi l'apparition d'outils mécanisés pour améliorer la vie des ouvriers.
Dès les années 20, on songea une espèce d'ascenseur pour atteindre des objets en hauteurs. Jusqu'ici, la seule solution, c'était l'échelle. Hisser une charge lourde, c'était à la fois compliqué et dangereux. D'après la légende, la nacelle aurait été créée pour récolter les cerises, dans les cerisiers. D'où le surnom anglo-saxon de "cherry-picker". L'avantage de la nacelle, c'est la possibilité de se déplacer dans les trois dimensions.
En 1965, la société Américaine Time créa le Versalift. 12 ans plus tard, la Société JF Degrémont vit le jour et elle adapta le Versalift aux véhicules Français. Ce C35 est donc postérieur à 1977... Bien qu'Altaya le date de 1975 ! JF Degrémont et Time visaient plutôt le marché du TP, alors que Gimaex ciblait les véhicules d'interventions (en particulier les pompiers.) En 2007, Time racheta JF Degrémont, qui devint Time France. En 2016, le groupe Gelev décida de reprendre les activités françaises de Time, renommé Klubb (à prononcer come "cube", avec un "l" et non comme "club".) Dans la foulée, Gelev organisa une reprise partielle de son concurrent Comilev (surtout son bureau d'étude) et d'EGI, fabricant d'éléments de stabilisation. Le défaut de Time France, c'est que de nombreux éléments étaient importés des USA, donc soumis aux aléas des taux de changes. Avec ses acquisitions, Klubb est devenu un fabricant et il est aujourd'hui omniprésent dans les nacelles. De son côté, Time a racheté France Elévateur, afin de faire à son tour du "made in France". Visiblement, l'accord avec Gelev interdit à Time d'utiliser sa marque dans l'hexagone. Il doit se contenter de la marque Versalift.

Comme vous pouvez le constater, le bras de la nacelle est mobile, sur cette miniature. Un point de plus !

Le moteur du bras de la nacelle est placé juste derrière les occupants. Logique : via, une prise de force, il récupère l'énergie du moteur. Or, plus vous vous éloignez du moteur, plus vous perdez du couple. Sans oublier les questions de répartitions des masses.
Le bras fonctionne sur un circuit hydraulique. Pour qu'il y ait de l'air, il faut que le moteur tourne en permanence. D'où cet interminable claquement du diesel, lorsqu'une nacelle et autres grue mobile fonctionne. ZF et quelques autres ont conçu une prise de force électrique. De quoi permettre à de tel engins de travailler en silence. Hélas, ZF est incapable de faire du sur-mesure. Sachant que chaque utilitaire possède une sortie d'arbre différente. Les minima de commandes sont hors de portée d'un Klubb ou d'un Versalift.

Notez aussi les gyrophares sur ce C35. Jean-Claude Decaux voulait peut-être en rajouter sur l'aspect statutaire/ostentatoire de ses véhicules. Mais c'était aussi le début d'une logique de signalisation et de sécurisation.


La nacelle élévatrice, cela rappelle un gag de Reiser, daté de 1979. Là, la nacelle servait à accrocher des décorations de noël. Grand amateur de Georges Perec, Reiser aimait évoquer les scènes du quotidien. Il avait également un rapport complexe avec le monde ouvrier. Un mélange d'admiration pour l'industrie et les métiers manuels, mais aussi de dégoût de la beaufitude.

Ici, la rencontre avec un opérateur de nacelle se transformait en échange d'insultes.

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