Janvier 1999, près de 23 ans, déjà. Dans un café Parisien, près de République


En deuxième année d’IUP, pour la plupart des matières, vous aviez un classique partiel de fin de semestre et des travaux en groupes. J’avais flashé sur « Salomé » (1.) Elle, elle savait à peine que j’existais. En Gestion Financière, j’ai su qu’elle avait choisi le dossier « fiscalité du Luxembourg ». Alors je m’y suis inscrit. « Teufè », avec qui j’avais sympathisé, s’y était inscrit parce qu’il adorait le sujet. Las, notre groupe de six fut vite scindé en deux : les trois filles travailleraient sur la première partie et les trois garçons, sur la seconde partie. Cela fut décidé lors de notre unique réunion à six, dans un autre café parisien. Le troisième homme, c’était « Felipe ». Vaguement Espagnol, il frimait parce que son grand frère avait une BMW 518i (E28) (2.) La béhème, il en parlait quasiment à chaque phrase ! Felipe avait invité les trois filles à passer la soirée dans un bar de Montmartre « où il était connu ». Elles devaient le rejoindre sur place. Teufè et moi, forcément, on n’était pas invité. Felipe m’a quand même demandé quelle était la station de métro la plus proche. « Rue de Montmartre », avais-je répondu. Ça leur fera les pieds !  
 
Et donc, quelques jours plus tard, rendez-vous dans un modeste troquet, pour faire un point sur l’avancement de cette deuxième partie. On se donnait rendez-vous dans des cafés, ça faisait plus « adultes ». Teufè et moi, c’était un peu Screech Powers et Screech Powers. C’est sûr que nous, on en avait du temps, pour potasser, vu qu’on n’avait pas de vie extra-scolaire ! Evidemment, Felipe est arrivé en retard. Evidemment, il n’avait pas écrit le moindre mot. Il effectue une entrée théâtrale dans ce café. Plutôt que de travailler, Felipe préféra évoquer la fameuse virée à Montmartre. Il faut imaginer ce conteur, très solaire, face à deux binoclards au milieu de leurs notes. Ce fut une soirée mémorable, à Montmartre. De la bonne musique, des serveuses au petit soin et les filles qui faisaient les folles. « Tu vois le tableau ? » Non, on ne voyait pas grand-chose : on était du genre à se coucher relativement tôt. Et seuls. Le retour fut tout aussi épique. Felipe et son grand-frère ont raccompagné les filles. Notre narrateur était au volant, car derrière, le grand-frère entreprenait Salomé. Sur le périphérique, il y avait du verglas. Le train arrière de l’E28 parti en dérive. Mais appel, contre-appel, Felipe reprit le contrôle ! En matière de maitrise de BMW sur la neige, Yvan Muller était rétrogradé au second rang ! Le grand-frère applaudit l’habileté. Puis, il se remit à l’ouvrage. Je te laisse imaginer la suite. Je te fais pas de dessin, ça risque d’être censuré dans le clip. Moi, j’étais mi-admiratif des prouesses de pilote de Felipe et mi-jaloux du grand-frère, car j’aurais aimé que ce soit moi, sur la banquette arrière, avec Salomé… Teufè, lui, il s’en fichait du bar de Montmartre, de la BMW, du verglas, de Salomé… Ce qui l’intéressait, c’était la fiscalité luxembourgeoise ! Et ce dossier à boucler. Avec la fin de semestre qui arrivait à grand pas… Felipe nous planta là, il était trop demandé pour bosser sur un dossier, voyons. Au final, Teufè dut rédiger sa partie. Moi, j’avais encore l’image de « ma » Salomé enlacée avec son roi Hérode d’un soir. C’est ma douleur que je cultive, en tapant ces six lettres-là. J’ai noyé mon chagrin dans une partie d’Heroes II of Might & Magic
 
Quinze jours plus tard, nous étions dans l’amphi principal. Nous devions parler de la fiscalité luxembourgeoise, devant le prof et les 79 autres étudiants de licence. Felipe a été capable de lire sa partie (rédigée par Teufè, donc.) Puis ce fut mon tour. Malgré la proximité de Salomé, j’étais plutôt à l’aise pour parler de l’évolution du statut de la holding. Teufè devait clôturer. Il a été incapable de prononcer le moindre mot. Je lui ai pris le papier des mains et j’ai lu sa partie. Le prof nous a d’ailleurs décompté des points, car tous les membres du groupe n’avaient pas parlé. 
 
Puis les années ont passé. Chacun est parti dans son coin. La station Rue de Montmartre a été renommée Grands Boulevards. Via Facebook, Salomé m’a retrouvé. J’ai compris qu’en fait, le Joest de 1999 ne savait pas grand-chose sur elle. De passage à Paris, c’est à Grands Boulevards qu’elle me donne rendez-vous. Je lui signale que c’était le lieu de rendez-vous avec Felipe. Sa moue est interrogative. Je lui retranscris le débrief de Felipe, 23 ans plus tôt. Elle démentie. Non, il n’y a pas eu de bar de Montmartre, elle n’est jamais montée dans une BMW, il n’y a pas eu de verglas et elle n’a pas souvenir d’un grand-frère adepte des travaux manuels. D’ailleurs, en la connaissant davantage, je comprends que ça n’aurait pas été le genre à effectuer la danse des sept voiles. Felipe avait donc tout inventé, juste pour se faire mousser par les deux ringards de la promo. Forcément, à 19 ans, j’étais encore bien naïf. Assez pour croire un Felipe. Aujourd’hui, j’aurais tiqué sur le dérapage contrôlé sur le périphérique. Surtout, à l’époque, je n’aurais jamais osé vérifier auprès de l’intéressée : au-delà de trois mots d’affilée à Salomé, c’était la crise d’apoplexie… Et j’ai l’impression d’entendre la voix de Teufè m’engueulant : « T’as écouté les conneries de Felipe, alors qu’on aurait pu écrire au moins un paragraphe ! »
 
1) Afin de préserver leur anonymat, tous les noms des protagonistes ont été modifiés.
2) Je n'ai pas de photos de la BMW du grand-frère de Felipe. Mais à l'écouter, elle ressemblait à ceci...
 

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