Y'a-t-il un pilote dans la voiture ?


F2, F3, Formula Regional... Cette saison, les formules de promotion ont consacré des parcours laborieux. Oliver Bearman est l'un des rares à avoir un parcours météorique. Les premières signatures de la F2 2023 sont consternantes : Brad Benavides, Roy Nissany, Ralph Boschung, Enzo Fittipaldi, Clément Novalak... Pas vraiment du futur champion de F1 !

Avant-hier

Tout d'abord, non, il n'y a pas de formule parfaite. Ni aujourd'hui, ni hier.

Globalement, depuis les années 60, il y a deux écoles de pensée des formules de promotion.

L'école Franco-Italienne est basée sur la progressivité. De saison en saison, l'espoir pilote des voitures de plus en plus rapides et il s'aventure de plus en plus souvent hors de son pays. Lorsqu'il a validé un niveau, on augmente la difficulté.
Le passage en F1 se fait en douceur : le pilote connait déjà les circuits, il retrouve des sponsors, des mécanos, etc. Inconvénient : il risque de prendre de mauvaises habitudes de pilotage. Aussi, il y a le manque d'humilité, comme Jean-Christophe Bouillon : Magny-Cours, il y a fait des podiums en FF, en F3 et en F3000. Alors pour la F1, c'est finger in the nose, pas besoin d'écouter l'ingé ! Et lorsque Heinz-Harald Frentzen lui colle une seconde pleine aux essais, il accusait la voiture !

Pour les Britanniques, dès la F3, un pilote en sait assez sur la science de la course. Mieux vaut l'envoyer le plus tôt possible en F1, pour qu'il se forme sur le tas. Il sera davantage malléable pour son équipe. Jackie Stewart et Emerson Fittipaldi n'avaient respectivement qu'une et deux saisons de monoplace avant de débarquer en F1.
Inconvénient : cela donne des pilotes très immatures, vite déstabilisés par la pression ou la médiatisation. Sur la période 75-85, la Grande-Bretagne vit ainsi de nombreux espoirs exploser en plein vol. Nigel Mansell, lui, s'accrocha. Il lui fallu tout de même quatre saisons pour comprendre comment amener une voiture jusqu'au damier...

Les statistiques semblent donner raison aux Britanniques. Aucun champion de F2 (pré-85) et de F3000 n'ont été ensuite champion de F1. Même si Jacky Ickx et Ronnie Peterson ne sont pas passés loin. Et parmi les champions de F1 de la période 75-2000, rares furent ceux passés par la F2 ou la F3000 : Niki Lauda, Keke Rosberg et ironie de l'histoire, les Britanniques James Hunt, Nigel Mansell et Damon Hill !

Au début des années 90, seule la F3000 possédait un championnat Européen. La France, la Grande-Bretagne, l'Italie et plus tard l'Allemagne organisaient des coupes nationales très relevées. C'était aussi la grande époque du "B", avec des gentlemen-drivers se mêlant aux espoirs. C'était le cas de Frédéric Vasseur, qui fut d'abord pilote d'une modeste écurie de F3, ASM. Il en devint plus tard le patron, avant de la renommer ART GP...

Chaque saison, vous aviez donc une pelleté de champions. En plus, au temps des coupes ouvertes, tel châssis dominait et le pilote x avait d'autant plus de mérites de bien finir, malgré un package différent. Donc il était a priori rapide.
On manquait de points de repères. Voilà pourquoi les écuries de F1 testaient beaucoup de pilotes. Il y eu aussi des "modes" : suite à l'éclosion de tel pilote issu de tel championnat, on s'intéressait désormais aux animateurs du championnat (cf. la F3 Allemande, la F3000 Japan ou l'Open Nissan.)

Abondance de biens...

A la fin des années 90, point de championnat Européen de F3. Pourtant, les ténors n'arrêtaient pas de se croiser : outre les Grand Prix F3 de Macao et Monaco, on vit éclore les Masters de Zandvoort et le Grand Prix F3 de Corée. Il y avait également les épreuves de Pau (championnat de France) et Spa (championnat Britannique), volontiers ouvertes aux pilotes étrangers.
Pour faire cesser cette hypocrisie (et éviter un exil des espoirs nationaux en Grande-Bretagne), l'Euro F3 émergea en 2003. Les cigarettiers et alcooliers étaient peu présents dans les formules de promotion ; leur départ fut quasiment transparent. Au contraire, entre les "filières" de constructeurs, les boissons énergisantes, les pétroliers... Le nombre de pilotes aux poches pleines explosait. Seuls quelques esprits chagrins regrettaient la disparition du "B".

En 1996, la F3000 devint une coupe monotype : châssis Lola, moteur Zytek et pneus Avon... Ce qui permit surtout aux partenaires techniques de tuer la concurrence, tout en augmentant les prix ! Cela fit beaucoup de mécontents. Nick Heidfeld (Mercedes-Benz alla jusqu'à échauder un team autour de lui), Juan-Pablo Montoya (soutenu par Williams) et Fernando Alonso (merci, Telefonica) furent les seuls pilotes à intégrer durablement la F1. Les autres furent surtout perçus comme des chéquiers à pattes.
Il y avait un vrai besoin d'une alternative. L'Open Nissan évolua en 2002 en passant au V6 et en s'aventurant de plus en plus hors d'Espagne. En parallèle, Renault avait offert une évolution similaire à la FR, avec la FR V6. En 2005, Open Nissan et FR V6 fusionnèrent dans la FR 3.5. Les FR 3.5 évoluaient avec les autres coupes monotypes de Renault (Clio Cup, Megane V6 Cup, Eurocup FR 2.0...) au sein des World Series by Renault. En théorie, la FR 3.5 se plaçait sous la F3000/GP2. Mais le championnat était perçu comme plus compétitifs. Pour la formation de ses talents, Red Bull ne jurait que par la FR 3.5.
En 1999, la F3000 changea de châssis. Pier Luigi Corbari, un ancien d'Eurobrun, eu l'idée d'employer les Lola obsolètes dans un championnat Italien de F3000. En 2001, il évolua en Euro F3000, avec des manches extra-Italiennes. A chaque fois que la F3000 changeait de voitures, l'ancienne atterrissait en Euro F3000. Le championnat était un mélange d'espoirs aux poches trouées, de gentlemen-drivers et quelques ex-pilotes de F1 trop capés pour réintégrer la F3000/GP2.
A la fin des années 90, le British F3 connu une course à l'armement. L'ex-pilote de F1 Jonathan Palmer eu l'idée d'une simili-F3 low-cost. Ce fut la Formula Palmer Audi. Elle mena son bonhomme de chemin jusqu'en 2009. Lâché par Audi, Palmer et ses associés de MSV la transformèrent en Formula 2. Cette fois, le championnat était Européen, avec des courses en prologue de l'Open GT.

Il y eu également les éphémères A1 GP, Superleague Formula et Formula Acceleration.

Évidemment, le nombre d'espoirs n'est pas extensible indéfiniment. D'où une tendance à recruter n'importe qui pour faire le nombre. Les BRICS regorgeaient justement de pilotes "rapides comme Crésus". En F3000/GP2, des équipes autrefois glorieuses, comme DAMS ou Super Nova, se laissèrent aller. En FR 3.5, l'astuce consistait à avoir un binôme constitué d'un "vrai" pilote et d'un riche pigeon. En 2011, chez ISR, Daniel Ricciardo cohabitait avec Nathanaël Berthon, Fortec alignait Alexander Rossi et César Ramos, tandis que chez Pons, Oli Webb avait un équipier différent à chaque épreuve !
Ailleurs, c'était encore pire. En Superleague Formula et en Euro F3000, seuls trois ou quatre pilotes disputaient l'intégralité du championnat. Les autres voitures étaient louées à des gloires locales. Quant à la Formula Two, c'était un repère de troisième couteaux.
Des pilotes dangereux pour eux-mêmes et pour les autres, comme Ricardo Teixeira, Max Snegirev ou Constantin Terechschenko purent ainsi effectuer plusieurs saisons de monoplace. Une fois bannis ici, une autre série les accueillait à bras ouverts.

Le mauvais génie de la FIA

En 2005, Bruno Michel et Flavio Briatore mirent en place le GP2, qui remplaçait la F3000. Principale nouveauté : toutes les épreuves étaient en levé de rideau de la F1. Dallara fournissait le châssis et Mecachrome, le moteur (badgé Renault.) En 2010, Bruno Michel reprit la Formula Master (une éphémère série de F3000 "B") et la transforma en GP3. Le GP3 courait en ouverture des GP Européens.
Le GP2 connu un intérêt au début, consacrant Nico Rosberg et Lewis Hamilton. Mais très vite, il retomba dans les travers de la F3000, avec un plateau de "never been". En théorie, le GP2 était un tremplin vers la F1 et les espoirs étaient près à payer le prix fort pour cela. En pratique, les écuries n'avaient même pas le droit d'utiliser les stands des F1. Le GP2 avait un paddock distinct (sans accès à celui de la F1.) Parfois, ce paddock n'était même pas bitumé (cf. la photo ci-après !)
Quant au GP3, avec ses six manches annuelles, il était davantage perçu comme un complément à une saison d'Euro F3.

La FIA s'est longtemps concentré presque exclusivement sur la F1. Lorsque Bernie Ecclestone "s'intéressait" à une discipline, cela signifiait qu'il allait la dynamiter (cf. le Groupe C ou le DTM.) Car il risquait de faire de l'ombre à la F1. Lors des Grand Prix, les circuits avaient la main sur les épreuves en ouverture. Le BTCC ou le V8 Supercars avaient chacun une course en prologue de la F1. Quant à Monaco, il avait son Grand Prix de F3 (devenu ensuite un Grand Prix de F3000.)

Dans les années 2010, changement de ton. Désormais seuls le GP3, le GP2 et la Porsche Supercup pouvaient se produire en ouverture des Grand Prix Européens.
A la même époque, il semblerait qu'il y ait eu un tarissement du réservoir de pilotes d'Europe Orientale ou d'Extrême Orient. L'Auto GP, dont le promoteur Enzo Coloni avait un caractère parfois imprévisible, mit la clef sous la porte. MSV abandonna la Formula Two et revint à son projet initial de F3 low-cost, avec la F4 MSV. Renault décida de revoir sa stratégie sportive et abandonna la World Series by Renault.
Au niveau Européen, la FIA était désormais juge et partie. Des règlements furent détournés. Jusque là, la FIA refusait rarement des super-licences. Elle voulu durcir les conditions d'entrées, imposant un âge et un palmarès minimum. Or, la FR 3.5 fut exclue du calcul pour la super-licence. De quoi saborder le projet de Jaime Alguersuari Sr de reprendre à son compte la série, après le retrait de Renault. L'obligation du halo fut lui, un coup dur pour les championnats de F3.
La F2, qui remplaça le GP2 en 2017, n'avait plus de concurrents direct. Quant à la F3 Européenne, elle fut absorbée par le GP3 en 2019. La nouvelle F3 FIA reprenait peu ou prou l'ancien GP3, tant sur le fond, que la forme.
En 2018, la FIA avait un projet de F3 "régionale", pour servir de marchepied entre la F4 et la future F3 FIA. Les Italiens proposèrent une émanation de leur championnat de F4, mais avec un châssis Tatuus "F3". Les Allemands, eux, souhaitaient faire rouler les anciennes F3 Européennes. Un projet qui risquait de faire beaucoup d'ombre à la F3 FIA (calendrier plus dense, budget moindre...) Il fut méthodiquement sabordé. La Formula Regional Italienne eu un feu vert... Et coup de théâtre, Renault obtenu un feu vert pour une Eurocup FR aux contours pourtant flous ! La solidité des liens entre Renault et la FIA suffit. En 2021, l'Eurocup FR absorba la Formula Regional.

Le pire des mondes !

Voilà comment on en abouti au système actuel, très ubuesque. C'est un système très rigide, en silo, d'inspiration plutôt Française. Les équipes de F1 avaient le choix entre du pilote de 19 ans très immature, mais malléable ou du pilote de 25 ans mature, mais qui sait tout, mieux que tout le monde. Elles se retrouvent avec des pilotes de 19 ans immatures, mais qui savent tout, mieux que tout le monde !
La F3 et la F2 ont les mêmes travers que le GP3 et le GP2, mais il n'y a plus de concurrence. En plus, le système des points de Super Licence oblige de facto à courir en F2 et en F3. Les carrières météoriques ont tendance à buter sur une F2 qui ne leur apporte rien (cf. Lando Norris, Théo Pourchaire...) Aussi, les espoirs se retrouvent donc à devoir lever un million d'euros pour une saison de dix meetings de F3.
Trois des six champions de la F2 ont intégré une écurie de F1 après leur titre... Mais à chaque fois, il s'agit de pilotes qui étaient déjà en contact avec une équipe, avant même le début de la saison. Lando Norris, Zhou Guan Yu ou Logan Sargeant purent aller en F1 sans décrocher le titre de F2. Quant à Felipe Drugovich -qui n'avait pas de contacts préalables- son titre lui permit juste d'être "pilote d'essai" chez Aston Martin. 
Notez que des écuries comme ART Grand Prix, Carlin ou Prema sont présentes aux différents étages. Certains pilotes sont ainsi couvés au cours de leur carrière. Mais dans la plupart des cas, cette promesse d'évolution est un leurre pour faire les poches des parents naïfs. Et après quatre ou cinq saisons à manger de la vache enragée, l'espoir et son père sont à cran. Pas question d'avoir fait tous ces sacrifices pour autre chose que la F1 ! Allez, je suis sûr que cette saison supplémentaire de F2 sera la bonne...

Les plus optimistes diront qu'en monoplace, il y a des cycles. Il n'y a donc plus qu'à attendre l'Homme providentiel qui bousculera le système...

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