L'Amérique, je veux l'avoir et (chez Sonauto), je l'aurai !

Aujourd'hui, c'est du made in USA ! Voici une production Américaine, oui, monsieur ! Un Chrysler Saratoga. Oui, Saratoga, comme la bataille de la guerre d'indépendance Américaine. C'est adapté, pour cette voiture pour cette voiture produite à Setrling Heights, dans le Michigan. Au fait, on vous a dit que c'était une voiture Américaine ? Voici le niveau de subtilité de Sonauto, dans les années 90...

Cela dit, compte tenu de la déconfiture de Chrysler France et de la qualité de fabrication du Chrysler de 1990, cet exemplaire a très bien vieillit.

Dès la fin de la guerre, les Français s'intéressaient aux Américaines. Problème : pour en acheter une, il fallait disposer d'un compte en dollars. Vous noterez que dans tous les films des années 50, les PDG et chefs de gang roulaient systématiquement en Américaine (parfois, c'était la voiture du réalisateur.) A l'heure des 4cv et des 203, ça vous posait un caïd !
Puis, le législateur imposa la supervignette (mortifère pour les gros V8 yankee.) Ensuite, les Mines mirent leur grain de sable. Avant d'être immatriculée, la voiture Américaine devait être modifiée (ablation du troisième feu de stop, nouvelles ceintures de sécurité...) Un chanteur ah que-célèbre aurait ainsi attendu près d'un an pour que son van Chevrolet soit homologué ! Pire : dans les années 80, François Mitterrand craignait un fuite des capitaux. Interdiction de dépenser plus de 1 000$ à l'étranger. Tout achat d'Américaine -même d'occasion- était virtuellement impossible.

Or, pendant ce temps, l'intérêt allait crescendo ! Les années 70, c'était l'âge d'or des road movies : Macadam à deux voies, Point limite zéro, Sugarland express, Lâchez les bolides... Beaucoup s'imaginaient roulant pied aux plancher, sur une route interminable du mid-west, au volant d'une muscle cars, avec la police aux trousses... Après, il y eu la nostalgie des fifties : American graffiti, Peggy Sue s'est mariée, Retour vers le futur, Grease, sans oublier la série Happy days... Des petits malins, comme Patrice de Bruyne, surent tirer parti de l'engouement. Vous envoyiez un photographe aux USA, faire le tour des concentrations. Deux coups d'agrafeuse et tchac, vous avez Chromes & Flammes ! Michel Hommell repris la formule, avec plus de nuance, dans Nitro. Je soupçonne tout de même la rédaction d'avoir a minima utilisé Hot rod magazine comme réservoir d'idées... En France, les "belles Américaines" furent alors la locomotive du monde de l'ancienne. Chaque mois, il y avait des dizaines d'évènements, avec concert de rock et projection de La fureur de vivre ou d'Easy rider.
La tendance débordait sur la vie de tous les jours. La chaine Hollywood Canteen vendait ses hamburgers dans de simili dinners. Chevignon reprenait les visuels de publicité des années 50 pour ses tee-shirts, ses blousons, ses stylos... Majorette et Solido ajoutaient des Américaines à leur catalogue. Tandis que les magasins La carterie ou Soho écoulaient des gadgets "fifties" made in Taiwan.

Je pense qu'une partie de l'engouement était un réflexe masochiste. Les voitures Américaines étaient inaccessibles. En plus, elles étaient inadaptées à la circulation Française (Franck Margerin adorait dessiner des Américaines bloquées dans les rampes de parking.) Donc on les désirait !

Alléluia, à l'été 1988, les prières de nombreux Français furent exaucées ! Sonauto distribuait Chrysler, en plus de Porsche et Mitsubishi.
En 1988, "Chrysler" et le pentastar évoquaient encore Simca. Sonauto présenta brièvement l'arrivé de Chrysler comme un retour. Les cousines des Simca débarquaient, deux ans après le naufrage de Talbot.
Très vite, Sonauto réalisa qu'il faisait fausse route. Ce qu'il fallait vendre, c'était de la "bagnole Américaine", pas de la Simca !

Sonauto n'importait pas toute la gamme. En plus, Renault avait encore la main sur Jeep. Néanmoins, il disposait de deux armes de séduction massive.
D'un côté, le cabriolet LeBaron (également disponible en coupé.) Aux Etats-Unis, la LeBaron était surtout une voiture de location pour touristes. Le seul vrai cabriolet "full size", c'était la Cadillac Allanté. Pour autant, vu de France, c'était la méga-classe ! Vous étiez le James Dean ou le Steve McQueen du quartier.
Puis il y avait le Voyager. Aux Etats-Unis, c'était le monospace de la mère au foyer des banlieues chics. Mais de l'autre côté de l'Atlantique... Avec l'Espace, Renault s'était laissé aller sur l'addition, surtout que malgré l'autoradio avec satellite, l'intérieur était monacal. Puis voilà le Voyager avec V6, intérieur cuir, châssis long... Et grâce à un dollar bas, il était moins cher que son rival.

En 1989, pour son premier exercice complet, Sonauto écoula 1 987 véhicules, devançant notamment Jaguar ou Saab. Au 1er juin 1990, le compteur était déjà à 1 962 unités. Alors qu'il avait un target lock sur l'Espace, Chrysler lança le Voyager II. Chrysler France doublait Lancia ou Volvo, malgré une gamme de trois modèles et un ticket moyen de 150 000 francs. A Saint-Ouen l'Aumône, fief de Sonauto, l'ambiance devait être proche de celle du Loup de Wall Street.
"Trois modèles", car Chrysler tenait également à vendre des berlines ! La Dodge Shadow/Plymouth Sundance devint Chrysler ES. Même Nitro n'était pas tendre avec cette banale 3 portes, construite en cochonium. On était loin des muscle cars ! Bilan : 170 unités en deux an.

Malgré tout, Sonauto tint à remettre le couvert. La Dodge Spirit/Plymouth Acclaim devint Chrysler Saratoga, à l'été 1990.
A l'heure du bio-design, ses lignes très carrées étaient datées. En fait, ce n'était qu'une évolution des "K-car" du milieu des années 80. Comme toutes la LeBaron et le Voyager, elle était proposé avec un 4 cylindres 2,5l 146ch ou un V6 Mitsubishi 3,0l 141ch. C'était une traction avant. La Saratoga était desservie par une "boitoto" quatre rapports dans la pire tradition US. En version V6, le réservoir se transformait en chasse d'eau avec 15l aux 100km sur autoroute.
Avec 4,6m de long, la Saratoga était à cheval sur les segments D et E. Il lui manquait donc un véritable aspect statutaire. Comme d'habitude, la dotation était généreuse : intérieur cuir, condamnation centralisée, climatisation, jantes alliages... Le tout pour 159 900 francs (soit 30 000 francs de moins qu'une 605 V6 ou une R25 V6.) Néanmoins, elle fut boudée.

Accessoirement, dès le millésime 1993, la Spirit/Acclaim disparu du tarif US. La Saratoga dut se contenter d'un développement "GOM"...

Le lendemain du spotting de cette Saratoga V6, François Castaing décédait.

La Saratoga était l'exemple du Chrysler pré-Castaing : une voiture très moyenne. Même aux USA, c'était le Cherokee et le Voyager qui tenait à bouts de bras le pentastar.
L'ex-ingénieur motoriste de Renault Sport s'était mué en expert produit, chez AMC. Lors du rachat d'American Motors, François Castaing prit en main le développement produit de Chrysler. Bien qu'ingénieur, il aimait sélectionner les designs. Sous son impulsion, les Chrysler gagnèrent en personnalité. Il multiplia les concept-cars audacieux : Atlantic, Pronto Cruiser, Phaeton, Viper, Prowler, Crossfire... Dont certains furent produits quasiment en l'état ! Chrysler avait indéniablement gagné en dynamisme. Avec la 300C, il produisait enfin une limousine crédible !
Les deux autres "grands" voulurent leur François Castaing : Claude Lobo fut propulsé à la tête du design de Ford et plus tard, Anne Asencio prit les rênes du design GM.

Au début des années 90, Chrysler était un constructeur premium un peu exotique. "Maximum Lutz" voulait faire du volume. François Castaing était promu directeur du développement international.
La compact Neon fut développée avec soin. Pour marquer son aspect "international", elle fut dévoilée à Francfort. Aux USA, elle connu une carrière honnête. En Europe, par contre, on râlait contre sa finition et sa tenue de route "Américaine". Et puis, une Américaine à taille Européenne, quel intérêt ? Le PT Cruiser, plus typé, le remplaça de facto -avec bonheur-, sur le Vieux Continent.
La seconde erreur fut la CCV. Une simili-2cv imaginée pour la Chine. Un marché où Chrysler tentait activement de s'implanter. Refus des autorités Chinoises.

Après cela, François Castaing perdit ses galons de directeur du développement international. En 1998, Daimler racheta Chrysler. En théorie, c'était une fusion. Mais cadres de Chrysler furent dégagés. Notre ingénieur Français fut du lot, en 2000. Il disparu des écrans de radar. Pendant une dizaine d'années, il travailla pour des équipementiers et rentra en France.

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