Wrong car, wrong journalist, wrong tout

L'autre jour, j'ai vu ce lien sur Twitter. Un article de la BBC, sur la Ford Mustang E-Mach, illustré par la mauvaise voiture.

A la limite, l'image en illustration n'est pas le principal problème. Cela trahit surtout l'aspect bureaucratique et la suffisance de la presse traditionnelle (print, mais aussi TV.)

La genèse
Le 17 novembre, Ford dévoile la Mustang Mach-E. Branle-bas de combat à la BBC. En plus, le spécialiste "auto" est indisponible.

Du coup, c'est le spécialiste web qui s'y colle. Il reçoit le communiqué ci-dessous, de Ford UK. Natalie Sauber, une analyste d'Arcadis et Theo Leggett, l'expert aéronautique lui filent un coup de main. L'iconographe de la BBC choisit les illustrations... Et donc, il se trompe d'image.
Un travail à huit mains, qui a prit 24 heures.

A titre de comparaison, cette même semaine, j'évoquais le lancement de l'Aston Martin DBX. Ce n'était pas mon meilleur article, mais il ne m'a pris que 30 minutes. J'étais tout seul et j'ai choisi des photos où effectivement, il y avait le DBX dessus !
Surtout, je ne prétends pas être un expert. Du moins, pas un expert en Aston Martin (20 articles maxi en 13 ans...), ni en SUV.
Au moins, j'avais fait un effort pour chercher un angle original, sans évoquer James Bond ou David Brown, par exemple.

Alors que l'article de la BBC, malgré ses moyens, cela donne un résultat truffé de lieux communs. A la limite, c'est un article générique, que l'on pourrait peu ou prou réutiliser pour le Jaguar i-Pace ou le Mercedes-Benz EQC. Un peu à l'image des lignes du Ford Mustang Mach-E, tout bien réfléchi...
La foire aux lieux communs
Dans la Disparition, George Perec écrivait un livre entier sans utiliser la lettre "e". Voici un challenge plus ardu : évoquer une voiture électrique, sans parler de Tesla !

Ici, c'est raté. Le nom revient trois fois ! Ils n'ont même pas cherché à utiliser une périphrase.
OK, Tesla est le premier fabricant de voitures électrique. C'est le plus célèbre pure player.

Pour autant, le SUV de Ford ne vise pas le même clientèle que le modèle X. Qui plus est, là où la plus chère Mach-E sera à 58 000£, il faudra y ajouter 17 000£ pour s'offrir un Modèle X de base.
Une voiture à 75 000£, plus performante qu'une voiture à 58 000£, quelle surprise !
La contribution de Natalie Sauber, c'est que la Norvège -qui ne fait pas parti de l'UE- est le pays Européen avec le plus fort taux d'équipement en électrique.

D'accord, mais comment est-on censé utiliser cette information ? C'est une bonne chose ? Une mauvaise chose ? Les autres pays doivent-ils s'inspirer de l'exemple Norvégien ?

Il nous manque l'analyse de l'analyste !
Préjugé N°3, Volkswagen possède "un savoir-faire dans l'électrique".

En quoi Volkswagen dispose d'un savoir-faire dans l'électrique ? C'est l'archétype de la phrase creuse, qui ne repose sur rien.
Volkswagen s'est lancé dans l'électrique avec l'e-Up en 2013 (donc après Nissan, Renault ou PSA.) L'e-Golf a suivi en 2015. Cette dernière est la 5e électrique la plus vendue en Europe, avec 17 113 ventes sur les 8 premiers mois de 2019. L'Audi e-Tron est deux rangs derrière, avec 9 648 ventes. A elles deux, elles restent derrière la Zoe. Et je ne parle même pas de Tesla...

En résumé, Volkswagen n'est ni un pionnier de l'électrique en série, ni un leader en terme de ventes. Quant à l'image, Volkswagen reste empêtré dans l'affaire des TDI aux émissions truquées...

Ce que Volkswagen sait faire, par contre, c'est produire à la chaine des communiqués sur l'électrique.
Sauf qu'aujourd'hui, généralistes et premium font du greenwashing à toute vapeur. Ici, un communiqué de PSA.

La vraie information, ça aurait été de dire que Ford ne va pas pouvoir tenir ses promesses. Au salon de Francfort 2017, l'ovale bleu claironnait qu'en 2022, l'électrique représenterait la moitié de ses ventes.
En août 2019, Ford a vendu 87 500 véhicules en Europe. Or, durant le même mois et sur la même zone géographique, il s'est vendu 35 278 électriques (en incluant les PHEV.) La croissance du marché ne suit pas. Volkswagen, "l'expert" sus-cité est aujourd'hui à 2 000 unités par mois.
Le salon de Francfort 2017 est loin... Lors du lancement du Puma, en octobre, Ford n'a tablé que sur une vente sur huit en PHEV. Alors que c'est l'un des plus gros volumes attendus.
Enfin, le dernier lieu commun, c'est de dire que la Mustang, c'est forcément un V8.

Ils en parlent deux fois.
Sauf que dès 1964, il y a eu une 'Stang équipée d'un 6 cylindres-en-ligne et il fut proposé durant toute la première génération. En 1974, la Mustang II proposait le 4 cylindres de la Pinto et le V6 "Cologne". La "Fox" offrait elle un 4 cylindres (avec votre serviteur au volant), un 4 cylindres turbo et deux V6, le V8 devenant marginal. Dans les années 90, le 4 cylindres disparu et le V6 fut réservé à l'entrée de gamme. Dans les années 2000, le V6 garda cette image de moteur du pauvre, face à une armada de V8. Pour autant, avec la génération actuelle, le 4 cylindres revient en force. Surtout à l'export.

En résumé, il y a toujours eu des Mustang "non-V8". Et en terme de ventes, leur impact fut non-négligeable. Qu'auraient fait les loueurs de voitures, sans les 4 cylindres et les V6 ?
D'où tu parles, camarade ?
Quatre personnes et 24 heures pour rédiger une brève comme cela ? 24 heures. Ce n'est donc pas un texte rédigé sur un coin de table parce qu'il fallait réagir à chaud.

En voyant la photo en miniature, j'ai dit que le journaliste était aussi mauvais que l'illustration !

Theo Leggett m'a répondu (en français dans le texte) que l'auteur n'était pas un expert en auto.
Sauf que le principe des médias traditionnels, c'est de proposer une information de qualité, rédigée par des professionnels de la profession. C'est ce professionnalisme qui est censé les distinguer des blogueurs.
Si la BBC (ou tout autre média traditionnel) n'est pas capable de mieux traiter un sujet qu'un blogueur lambda et qu'en plus, ils arrivent avec 24 heures de retard, quel est leur valeur ajoutée ?
Ma réponse, c'est que je suis content pour lui, mais ce n'est pas ce que l'on attend d'un média comme la BBC.

Là, la mauvaise foi allait crescendo. L'article est bon, il a été publié à temps et les lecteurs en sont contents. Les objectifs du plan quinquennal ont été atteints.
En gros, toi, le maniaque de la tuture, va jouer ailleurs. Mes remarques ne sont pas légitimes, car je ne suis pas du sérail.
Qu'en sait-il ? Il n'y a même pas d'espace pour commenter l'article ! Et il n'y a pas non plus de liens directs vers les réseaux sociaux. Sur Twitter, j'ai compté une dizaine de retweets avec commentaires (dont ceux des auteurs) et il n'y eu aucun partage sur Facebook.
Eu égard aux 26 millions d'abonnés sur Twitter de la BBC, c'est ce qu'on appelle un engagement très faible !

Et ne croyez pas que c'est parce que j'étais agressif. Il a répondu aussi vertement à une femme qui l'interpellait sur l'autonomie du Mach E (NDLA : 370 miles d'après Ford UK et le WLTP ; 300 miles d'après Ford USA et l'EPA.)

Après, ma critique ne porte pas sur lui, sur cet article ou sur la BBC. C'est avant tout la critique d'un système. Des gens imbus d'eux-mêmes, qui refusent de recevoir des leçons, il y en a partout. Mais d'expérience, ils sont surreprésentés dans certaines corporation, comme la presse traditionnelle.
Or, on vit dans une époque d'horizontalité. Une époque où une gamine de seize peut apostropher vertement des chefs d'états. Il n'y a plus de parole d'évangile. Le lecteur veut devenir acteur et mettre son grain de sel dans la discussion.
La posture ex cathedra des journalistes est anachronique. La grande erreur, c'est de croire que la chute du print est due au support. Mais les sites émanant de journaux ne décollent pas -et c'est encore plus vraie en France-. Il y a donc aussi un problème de fond, antérieur même à la généralisation du web.

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