Une passion terrible

Johnny Rives nous ouvre ses cahiers. Une quarantaine d'années à couvrir le sport auto pour l'Equipe. De la René Bonnet Missile à la McLaren/Honda, de Jean-Pierre Beltoise à Jean Alesi, ce furent autant de métamorphoses du sport auto. Métamorphoses dont il fut témoin, mais parfois aussi, acteur.

Pour moi, cet été sera littéraire ! J'ai mis trois livres dans ma valise, avec l'objectif de les avoir terminé à mon retour.

Patrice Vatan m'a présenté à Olivier Rogar, M. Classic Courses. C'est également le TTCB qui nous a proposé un troc : un exemplaire de Chinoiseries Industrielles, contre l'autobiographie de Johnny Rives ! Ca allait être la première de mes lectures estivales.

Johnny Rives... Pour les plus vieux, il dispose d'une espèce de préfixe homérien : de notre envoyé spécial Johnny Rives. Depuis sa création, l'Equipe faisait tourner les correspondants sur les Grand Prix. Puis il s'est imposé comme le premier correspondant permanent. Compte-rendus de courses, actualités, rumeurs, interviews, il était aussi omniprésent qu'indéboulonnable.

Malheureusement, c'est aussi l'un des derniers monuments du journalisme auto.

Pendant toutes ces années, Johnny Rives avait pris des notes manuscrites, à chaud, noircissant de nombreux cahiers. A l'occasion, il rédige des articles à la première personne, pour Classic Courses.

Le livre, Une passion terrible, la vitesse, est lui aussi issu de ces cahiers. Johnny Rives s'est interdit le copier/coller. Mais forcément, parfois, le lecteur aura une impression de déjà vu...

Johnny Rives évoque ses années passées à l'Equipe, de 1960 à 1996. Il passe rapidement sur son enfance Toulonnaise et ses premiers papiers pour La République. Puis il y eu le traumatisant service militaire en Algérie, objet d'un autre ouvrage. Le jeune journaliste rêvait sans doute d'écrire pour les plus grands titres. Mais nul doute que quelque chose s'est cassé en Algérie. Il en avait trop vu pour retourner à Toulon, comme si de rien n'était.

Le livre commence donc par l'arrivée à Paris de Jean Rives, avec une vague promesse d'embauche de l'Equipe. Il tentait alors timidement de se faire une place parmi des géants - sans savoir qu'il en serait un, plus tard - et de nouer des contacts avec ces pilotes qui s'affrontaient le week-end à Montlhéry.

A force de fréquenter patrons et écuries, le journaliste se voit proposer des volants. Paraphrasant Olivier Gendebien, il y voit un moyen de mieux rendre les impressions des pilotes de Grand Prix. Rappelons qu'au début des années 60, insérer des photos reste cher et compliqué, dans un journal. Charge au journaliste de compenser en décrivant davantage les gens, les voitures, les circuits, etc.

Comme pilote, Johnny Rives dispute plusieurs fois les 24 heures du Mans, candidat au Volant Shell (futur Volant Elf), il effectue une saison complète en Formule Renault. Pas mal pour un pilote arrivé avec 0 budget ! Mais c'est surtout en rallye qu'il perce, comme copilote. L'occasion d'évoquer un autre novice qu'il croise souvent dans les parcs fermés : Jean Todt.

Le sport automobile tricolore est alors un monde de gentlemen-drivers. Puis au milieu des années 60, il y a une révolution : Matra. Jean, devenu Johnny, joue à la "belotte bridgée" avec Henri Pescarolo et Jean-Pierre Beltoise, dans le restaurant de "Jojo" Houel. Et voilà que ses compagnons de jeu débarque en F1 et jouent la gagne aux 24 heures du Mans !

Johnny Rives est aux premières loges, pour décrire ces jeunes, qui peuvent réaliser leurs rêves. Et grâce à ses relations dépassants le cadre professionnel, il peut les suivre au bout du monde. Ce sont ainsi ses premiers reportage extra-européens. Il couvre aussi ses premiers Grand Prix et intègre le triumvirat des correspondants de l'Equipe.

Le journaliste s'offre une parenthèse pour décrire ses deux Tour Auto avec Matra. Il n'est pas que spectateur privilégié de l'aventure ; il contribue à son palmarès ! Cela vaut bien une petite pointe d'égo.

Grâce à Matra, Johnny Rives change de dimension, comme journaliste. Alors il réclame de devenir correspondant permanent de la F1, pour l'Equipe.

Il assiste aux débuts de Ligier en F1. Ce n'est qu'un prolongement de l'aventure Matra, mais tout a changé. Les nouveaux pilotes sont plus ambitieux et plus cyniques. Avec les sponsors, les budgets ont explosé. Les pilotes mènent des vies de star. Les interviews ne se font plus dans les brasseries parisiennes, mais à l'arrière d'un motor-home. Johnny Rives lui-même se laisse pousser la barbe et les lunettes de soleil. Il est devenu familier des aéroports et des grands hôtels.

Pour autant, seuls une poignée de journalistes couvrent la F1. Journalistes qui sont parfois les uniques compatriotes, sur les Grands Prix lointains. Les débutants viennent demander des conseils à des journalistes vétéran comme Johnny Rives : qui fréquenter, qui éviter, quels sont les circuits difficiles, etc. C'était l'époque où les acteurs de la F1 dévorent la presse - y compris les pilotes -. Un article peut créer une tempête jusque dans les conseils d'administration.
Néanmoins, difficile de croire que Johnny Rives assiste aux même courses que Tony Rubython. Le journaliste Britannique décrit une F1 très trash : sex, drogue, trahisons... A contrario, Johnny Rives décrit un monde plus policé. Il faut dire que dès le baisser du damier, il pose le stylo. Il s'autorise tout juste une description d'un restaurant après les essais du Grand Prix de Suède, avec un Jacques Laffite passablement éméché... Mais qui remporte la course, le lendemain !

Johnny Rives est très consensuel. Il est amis avec Beltoise et Laffite, Pironi et Villeneuve, Prost et Senna... Et il ne fait jamais de jugements de valeur. Sa description du "volant" de la Ligier JS5 ou de l'apparition de l'Alpine A500 sont digne d'un communiqué de presse. Il n'y a que contre Alfa Romeo (qui chargea lourdement Patrick Depailler après son accident mortel) qu'il s'emporte.

Le fan de F1 apprendra peu de choses. A peine quelques "off" de Prost ou de Senna. Néanmoins, c'est aussi du à une marque de respect. Ces écuries qui lui ouvert leurs portes, ces pilotes qui lui ont ouvert leurs cœurs... Johnny Rives se sent encore redevable face aux vivants et aux morts.

Le livre s'arrête quasiment sur le duel Prost-Senna. On aurait aimé que Johnny Rives s'épanche davantage sur les Williams-Renault et l'arrivée de Michael Schumacher. De plus, on aurait souhaité une plongée dans les coulisses, avec l'arrivée de Johnny Rives comme commentateur TV...

Un mot sur la forme. On sent que le journaliste a gardé des tics de journalistes, avec des phrases courtes. On l'a dit plus haut, il y a beaucoup de descriptions, relent d'une époque où les photos étaient rares. Puis il y a cette écriture... L'Equipe s'adressait à un lectorat de "blouses blanches" et d'employés de bureau. Visiblement, on lui a tapé sur les doigts, à ses débuts et ça lui a laissé des traces. Donc une langue simple, sans subjonctifs, ni locutions latines. Lorsqu'il doit retranscrire des émotions fortes, le manque de lyrisme est criant. Mais attention, pas de laisser-aller ! Les chiffres sont en toutes lettres. Certaines tournures, comme les "6 cylindres en V" ci-dessous, peuvent faire sourire.

Après, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Une "blouse blanche" de 1960 parle mieux qu'un cadre de 2025. Entre les "frérot", les "pas le couteau le plus affuté du tiroir", les "il m'a insulté de..." et autres formules d'illettrés... Certains lecteurs du livre vont même avoir besoin d'un dictionnaire...

A la lecture de ce livre, on se sent si petit. Si petit face à ce témoin incroyable du sport auto... D'autant plus qu'il est si humble. Lorsqu'il évoque sa vie personnelle, ce n'est que pour donner un fil conducteur et des repères temporelles. A l'heure des commus, des formulix et autres "experts" qui n'ont jamais approché un circuit... Précisons aussi qu'aujourd'hui, les pilotes sont cernés de journalistes, avec des attachés de presse qui filtrent. Plus question donc, d'obtenir des confidences. Et encore moins d'aller boire un coup ensemble après la course.

Pour en revenir à Johnny Rives, on perçoit nettement sa passion du sport auto. Passion, à laquelle il a dévoué sa vie. Et son sacerdoce de vouloir faire partager cette passion au plus grand nombre.

Le livre contient environ 160 pages, écrites assez gros et abondamment illustrées. C'est beaucoup trop court ! Nul doute que dans les fameux cahiers, il y aurait de quoi en faire le double. Tant on voudrait pouvoir passer davantage de temps auprès de ce conteur...

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