La fin du "made in France" dans l'automobile ?

Les réunions d'anciennes de compétition, c'est aussi l'occasion de revoir des marques disparues, comme Océanic. La compagnie aérienne fictive des films catastrophes Hollywoodien ? Non, Océanic était une vraie marque de téléviseurs. Une marque Française d'électronique grand public. Tout une industrie ayant disparu. Et si l'automobile était la prochaine, sur la liste ?

Il y a 40 ans, lorsque vous poussiez la porte d'un Darty, il y avait beaucoup de made in France. Thomson, Schneider et Océanic au rayon télévision. Radiola dans la hifi. Rosières, Sauter et De Dietrich au rayon cuisine. Brandt et Vedette dans l'électroménager. Sans oublier Moulinex... Darty ne vendait pas encore d'ordinateurs, mais l'on en fabriquait aussi : Thomson, Bull, Goupil, puis Cibox. L'industrie française fut même une pionnière de la téléphonie mobile, avec le Radiocom 2000 de Matra, puis le Bi-bop, de France Télécom.

C'était l'époque où les Français s'équipaient. Les gens voulaient du solide ! Lorsque la TV ou la cuisinière était un peu vieille, on en achetait des neufs... Et on expédiait les anciens dans la maison de campagne, chez les enfants ou le cousin qui a du mal à joindre les deux bouts.

Les marques Françaises semblaient avoir été toujours là. C'était rassurant, mais en même temps, ces entreprises avaient une image assez terne. Travailler pour Thomson ou Bull, c'était aussi sexy que d'entrer au Trésor Publique...
A quelques exceptions près, elles se montraient très prudentes. Attendant qu'une innovation soit adoptée pour sauter le pas. Thomson avait peut-être de mauvais souvenirs de son magnétoscope V2000...

Ne croyez pas que les entreprises de biens d'équipements, c'était un sport français... Les autres pays Européens avaient presque tous ce genre d'entreprises : AEG, Blaupunkt, Grundig, Saba ou Telefunken, en Allemagne, Baird et Marconi en Grande-Bretagne, Fagor en Espagne, Ericsson en Suède, Nokia en Finlande... Lors de mon passage à Turin, mon interlocuteur se lamentait de la fermeture de l'usine d'ordinateurs d'Olivetti. 30 ans après, la banlieue Nord ne s'en était toujours pas relevée économiquement.

Toutes ces marques étaient très nationales et elles étaient dans une logique de rente. Elles subirent de plein fouet les mutations du marché : le remplacement des radios portatives (alias transistors) par les baladeurs, les TV 16/9e, puis à écran plat, les lecteurs de DVD en remplacement des magnétoscopes, les portables à clapet, puis les smartphones, etc.
Toujours dans cette logique de rente, ils proposaient des prix peu compétitifs et se contentaient d'une communication très timides. Ils n'avaient pas cherché non plus à optimiser leur organisation industrielle. Les fabricants Japonais eurent tôt fait d'identifier les défauts de leurs concurrents. Ils sortirent l'artillerie lourde : prix calibrés, marketing agressif et surtout, de très gros volumes. Les fabricants Coréens, puis Chinois leur emboitèrent le pas.

Les marques Européennes furent balayées. Le décès d'un dirigeant historique sans héritier ou des aventures politico-financières furent souvent le clou final du cercueil.
Quelques années plus tard, des industriels Chinois firent le tour des tribunaux du commerce. Ils récupérèrent ainsi les droits d'utiliser des marques comme Thomson, AEG ou Schneider, pour commercialiser des produits bas de gamme.

Seuls quelques nostalgiques ont pleuré la disparition de ces marques. Après tout, désormais on a des téléphones, des ordinateurs, des TV, etc. plus performants et moins chers.

Mais derrière, il y a surtout une perte de savoir-faire. La Chine créa des sites industriels cyclopéens (cf. ma visite de l'usine d'iPhone de Zhengzhou.) Qui serait capable de lutter ?

Enfin, il y a la création de faits accomplis. L'idée s'est diffusé qu'en Europe, on ne pouvait plus fabriquer de TV, de téléphones, mais aussi de tee-shirts, de jouets, etc.
En 2013, l'accident du Rana Plaza mit en lumière l'insalubrité des usines textiles du Bengladesh. Avec cynisme, les donneurs d'ordre se contentèrent de réaiguiller la production dans d'autres pays Asiatiques en voie de développement. De même que 20 ans plus tôt, après l'incendie du sous-traitant Kader Toy, la production de jouets quitta la Thaïlande pour la Chine. La piste d'une relocalisation en occident n'est même pas évoquée.

Et l'automobile ?

A priori, ça n'a rien à voir. Les ressorts du marché ne sont pas les mêmes. De plus, les grands groupes possèdent les volumes et une organisation industrielle optimisée.

A contrario, les producteurs Chinois faisaient preuve d'amateurisme et pour obtenir des prix (un peu) plus bas, ils sacrifiaient la technologie et la qualité. De loin, les voitures Chinoises étaient quelconques. De près, la qualité d'assemblage était ridicule.
En 2009, alors que tous le monde tremblaient devant Landwind ou Brilliance, j'étais catégorique : les Chinois étaient incapable de faire quoi que ce soit. Racheter une marque moribonde, oui. Mais lutter à armes égales face à Volkswagen ou Renault-Nissan, non.

Lors du Mondial 2022, les constructeurs Chinois sont venus en nombre. Il y avait à boire et à manger, mais certains n'ont plus à rougir. Finition et performances aux standards Européens, gros contenus technologique, discours ambitieux, mais néanmoins pragmatique.

MG et Lynk&Co commencent à apparaitre dans le trafic. Mais les volumes restent faibles.

En fait, ce ne sont pas tant les constructeurs Chinois qui ont progressé, que les constructeurs Européens qui ont régressé.

Certes, la fin du thermique est un coup de poignard, de la part de l'UE. Cela élimine l'avantage en terme de motorisation. Il n'y a plus de V6, de turbo, de moteurs progressifs ou se libérant à hauts régimes ; les fiches techniques deviennent identiques. Cela avantage également les Chinois -qui fabriquent eux-mêmes moteurs et batteries- sur des Européens portés sur l'externalisation. Sans oublier un discours franchement autophobe, forcément néfaste aux ventes.
Après, cela fait dix ans que les Européens font du suivisme. Sur l'hybride, puis l’électrique et demain, sur l'hydrogène et les voitures autonomes. Côté produits, c'est du tout SUV. "On ne va quand même pas risquer des milliers d'emploi sur une voiture trop radicale !" Actuellement, les constructeurs pavoisent avec une voiturette qui s'est écoulée à moins de 50 000 unités en 3 ans (désormais déclinée en trois marques) et une camionnette lookée qui propose la moitié du volume utile d'une Kangoo Van électrique, pour 20 000€ de plus !

Surtout, il y a cette suffisance. Ce sentiment que le client est acquis et que l'on peut en profiter. C'est l règne des David Goodenough : "Eh oh, on fait de la F1 et puis on a mis une reprise de The Police dans notre dernière pub !"
En 2019, Citroën avait écoulé 235 100 voitures dans l'hexagone (hors VU et Ami.) En 2021, le chiffre était tombé à 162 698. Il pouvait donc se permettre de snober le Mondial de Paris ! La DS3 (ex-Crossback) est à 15 000 ventes annuelles. Pas de quoi inquiéter le constructeur, qui facture 4000€ une poignée de kW et de kWh supplémentaires pour l'E-tense. La semaine prochaine, Renault va se rendre à Viva Technology avec le concept-car Renault 5 dévoilé en 2021 ! Il n'a pas envie de dévoiler un prototype pour cette occasion.

C'est cette même apathie, cette même avarice, cette même frilosité face à l'inconnu, ce même dédain des goûts du client, qui fut fatale à Thomson ou à AEG.

Le risque, c'est qu'à moyen-terme, les marques Européennes ne baissent le rideau. On aura alors l'impression que les Chinois sont incontournables dans la production de VE, car eux seuls maitrisent la filière amont. On se satisfera d'un rôle subalterne dans l'industrie automobile.
Les usines de voitures iront rejoindre les usines de textile, les mines ou les haut-fourneaux dans un passé industriel révolu.

Bonus : qui se trouvait devant l'Austral rouge ? Michel Denisot ! Or, son émission Télé Dimanche était sponsorisée par Océanic. Salut !

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