Dacia 1300 par Majorette

Arrêtez les rotatives : elle est là ! Qui ça "elle" ? La Dacia 1300 au 1/60e (à peu près) de Majorette. Vous aussi, vous pouvez désormais posséder cette réplique de ce légendaire produit de l'industrie Roumaine. La voiture de Borat, de Cyril Figgis dans Archer, de PUBG ! Good news !

La collection "Vintage" de Majorette est centrée sur des valeur sûres : Coccinelle, 2cv, 917... Alors lorsque j'ai vu l'annonce d'une Dacia 1300, j'ai cru à un gag. Car, en terme d'exotisme, cela dénote franchement du reste !


3,99€ plus tard, elle est à moi !

Pour une miniature "collection", la présentation est décevante. Impossible d'ouvrir le blister sans faire un massacre.

Et au-dessus de la miniature, est-ce un livret ?

Non, juste une plaque avec une fiche technique succincte. J'adore le puissance en "CV" (NDLA : la Roumaine avait droit à la même super-vignette que les Rolls-Royce ?) et le "moment de rotation"...

Si la carrosserie est plutôt soignée, avec les ouïes derrière les portières et les logos, tous le reste est fantaisiste. Non, les Dacia 1300 n'étaient pas chaussées en pneus larges, avec des taille basse et des jantes alliage !

Globalement, on est sur un jouet pour 8-10 ans. Lorsque les enfants jouent encore aux petites voitures, mais qu'ils s'intéressent aux modèles.

La R12 n'a pas laissée des souvenirs impérissables. Produite de 1969 à 1980, elle fut une berline assez banale. On l'avait trop vue, aussi. Auto-rétro, qui a toujours possédé une vision très large de la "voiture de collection", ne la listait pas parmi ses "berlines 1965-1975". Jusqu'à récemment, on en croisait en "daily" en plein Paris... Et elles continuaient d'être victime des primes à la casse.
C'était aussi la voiture du blédard. Entre les Oyak et les Dacia, on trouvait des pièces neuves jusqu'à récemment. D'ailleurs, dans le sketch "Intégration" de Groland, Omar Sy en conduisait une.

Depuis une dizaine d'années, les R12 Gordini sont devenues très recherchées. Mais les R12 "normales", non.

Par contre, la cousine Roumaine, la Dacia 1300, c'est un concentré de l'histoire de la Roumanie !

Lorsque l'Union Soviétique chassa les nazis, ils adoubèrent le leader du parti communiste roumain, Gheorghe Gheorghiu-Dej. Sur le tard, il prit ses distances avec l'URSS. En 1965, il mourut d'un cancer des poumons. Deux nomenclaturistes, Gheorghe Apostol et Ion Gheorghe Maurer se battirent pour sa succession. Nicolae Ceausescu, un second couteau, su manœuvrer pour être désigné président de la Roumanie. Par rapport aux autres, il faisait figure de "jeune" et de personne avec de vrais idéaux. Il disposait d'un vrai capital sympathie, à son arrivée au pouvoir.
La Roumanie faisait parti du Comecon. Une simili-UE, chapeautée par l'URSS et basée autour de l'échange. Je produits des tomates, tu produits des carottes. Je te file des tomates, contre tes carottes et comme ça, on aura tous les deux des tomates et des carottes. Pour l'automobile, seuls les pays disposant d'un industrie automobile avant 1945 (Pologne, RDA, Tchécoslovaquie et URSS) avaient le droit d'en produire. Tant pis pour la Hongrie et la Bulgarie. On peut supposer que Ceaucescu négocia le droit de produire des voitures contre un renouvèlement de son allégeance à l'URSS.
L'avionneur Industria Aeronautică Română déménageait de Pitești à Ghimbav, laissant derrière lui une usine. En 1966, le site prit l'enseigne Uzina de Autoturisme Pitești (UAP.) La marque serait Dacia, du nom pré-Romain de la région. Pas question de développer une voiture ex nihilo. UAP allait produire un véhicule étranger existant. Les Roumains testèrent la Renault 10, la Peugeot 204, la Fiat 1100D, l'Alfa Romeo 1300, la Morris Mini Minor (et la DKW F102 ?)
Peugeot et Alfa Romeo manquaient d'expérience dans ce type de contrat. Les autres, en revanche, étaient capable de proposer différentes formules, de la fourniture de kits à la mise en place d'une chaine de montage complète. Volkswagen songeait à liquider DKW/Auto Union/Audi et ce n'était pas le moment de répondre à un appel d'offre. La Grande-Bretagne était le champion de l'anticommunisme. Restaient donc Fiat (déjà présent en Yougoslavie, en Pologne et bientôt, en URSS) et Renault (qui avait posé ses pions en Bulgarie, en Tchécoslovaquie et plus tard, en Yougoslavie.) Les plus naïfs évoquèrent la francophilie alors bicentenaire de Roumains. Aux XIXe siècle, ce sont les Français qui imposèrent le nom "Roumanie" (les chancellerie Européennes parlant de Wallachie-Moldavie.) Il y eu aussi Cioran, Eugène Ionesco... Mais le pont entre Bucarest et Paris, ce fut le PCF. Avec l'accord de 1955 (qui ne fut ratifié qu'en 1957), la CGT obtint la cogestion de facto de la RNUR. Depuis la fin des années 50, la firme au losange rêvait de croissance : davantage de modèles, davantage de volume et une présence dans de nouveaux pays. Sous l'effet du libéralisme Kroutchevien, une classe moyenne commençait à poindre, à l'Est. Autant être celui qui les motoriserait. Le PCF de Waldeck Rochet possédait des liens étroits avec ses "partis frères". Alors que de l'autre côté des Alpes, "Gallo" s'éloignait de plus en plus de Moscou. Donc le dossier Renault se retrouva en haut de la pile.

En 1968, les ouvriers de l'ex-usine IAR commencèrent à jouer de la clef Allen. Ils produisirent des Renault... 8, renommés Dacia 1100. Nicolae Ceausescu était au bout, pour conduire la première voiture. Charles de Gaulle était également là, s'offrant un bain de foule, quelques mois après le coup de tabac de mai 68.
Mais Dacia et Renault avaient d'emblée un second projet : la toute nouvelle Renault 12. Qui plus est, il s'agissait cette fois d'une vraie production, avec intégration de pièces roumaines. Un proto paradait lors de la fête nationale Roumaine, le 21 août 1969. Un mois avant la présentation officielle de la R12, au salon de Paris. En 1970, la Dacia 1300 apparaissait officiellement au catalogue.

Dans les pays communistes, acheter une voiture était un chemin de croix. Il fallait réunir le capital (il n'existait pas de vente à crédit), puis patienter des mois, voire des années. Le Parti et l'export étant prioritaire. Ajoutez que la 1300 n'était proposée que dans une seule finition (le PCR se réservant la version Lux) et avec une poignée de teintes.
Oui, mais après, vous entriez dans le cercle fermé des automobilistes Roumains. Et puis, c'était censément la première étape vers des lendemains qui chantent...

Pour info, Pitești assembla également des R20 (alias Dacia 2000) et des Estafette (alias Dacia... Estafette.)

L'accord entre UAP et Renault portait sur 10 ans, donc 1968-1978. A priori, il allait être renouvelé. Fin 1977, l'usine de Flins entamait la production de la remplaçante de la R12, la R18. Une version Dacia était prévue.
Surprise : UAP ne signa pas d'avenant. L'accord prit fin en 1978 et la version Roumaine de la R18 fut un avortée. C'est en Yougoslavie, à Novo Mesto (actuelle Slovénie), que le projet fut recyclée. Renault profitant de la déconfiture de BL, qui avait abandonné son unique alliée d'Europe orientale.

Car depuis 1968, l'industrie automobile Roumaine s'est développée. Aro, fabricant de 4x4 militaire, s'est lancé dans le civil avec ses Aro 24, puis 10. L'état Roumain a également développée un coentreprise avec Citroën. Il n'est plus question de production sous licence, mais de développement indigène.
Dacia travaillait ainsi sur sa propre citadine, la 500 Lăstun. En attendant, la 1300 fut reliftée et déclinée à toutes les sauces : pick-up, limousine et même coupé (cette dernière restant à l'état de prototype.) Une poignée de 1300 furent exportées en Belgique, où elles firent un flop.

Côté Renault, on avait d'autres chats à fouetter. Car en cette même année 1978, la firme au losange s'associait à American Motors. Le marché Américain, cela faisait davantage rêver que le marché Roumain !
Ils se sont contentés de râler lorsque l'Aro 10 affichait "Powered by Renault" sur les flancs (en fait, il s'agissait du 1300 Dacia)... Ce qui n'empêcha pas le constructeur de vendre son 1,9l diesel aux Roumains.

Le rêve de prospérité socialiste fit long feu. Au début des années 80, tous les pays du Comcon étaient dans le rouge (NDLA : et on ne parlait pas de couleur politique...) En Roumanie, Ceausescu, naguère dynamique, avait acquis les travers des personnes qu'il avait écarté en 1965. Comme tous les pays de l'Est, la Roumanie souffrait de prédation et de népotisme. Ces pays étaient tous paranoïaques, avec des dépenses en défense et en renseignement intérieur disproportionnées. La Roumanie y ajoutait une personnalisation du régime.

Pour faire entrer des devises, la 1300, devenue 1310, retenta sa chance à l'export. Première étape : l'Autriche. Elle tenta même de percer en Grande-Bretagne, sous le nom de Denem (avec conduite à droite.) Trop chère pour compenser des prestations anachroniques, la Denem fut un flop. L'ambassade de Roumanie en acheta un certain nombre et elles furent confiées à des opérateurs de la Securitate (NDLA : bravo pour la discrétion...) L'importateur local groupa la Denem avec l'Aro 10, renommé Dacia Duster.
Les problèmes financiers valaient bien de passer sur les convictions politiques. La 1310 fut ainsi exportées chez les "traitres" Chinois et Nord-Coréens, qui payait cash. Sur les vues de Pyongyang, on peut encore voir les berlines Roumaines, ici et là...

La révolution Roumaine fut aussi soudaine que brutale.

Le 7 octobre 1989, Ceausescu était invité au quarantième anniversaire de la RDA. Mikhail Gorbatchev tint un discours sur "le vent de la réforme", auquel il afficha ostensiblement son manque d'intérêt. A son retour, le PCR le réélisait pour un nouveau mandat. Le 26 novembre, l'arrestation d'un pasteur déclencha des manifestations inédites à Timisoara. Le 27, la gymnaste Nadia Comăneci, qui était en semi-résidence surveillée, parvenait à quitter le pays. Le 21 décembre, alors que les manifestations ne faiblissaient pas, Ceausescu faisait un speech, promettant de l'argent contre un retour au calme. Le 22, il tentait de fuir. Capturé le 23, le dictateur était brièvement jugé, puis exécuté le 25, ainsi que sa femme. Le 26, Ion Illescu était désigné président. La Roumanie tournait la page de 42 ans de régime communiste.

Comme les autres constructeurs des pays de l'Est, Dacia se retrouva livré à lui-même. La 1310 fut renommée "Liberta". La marque tenta de développer sa propre voiture, la Nova.
A Pitești, la situation était déplorable. Les employés se "débrouillaient" pour boucler les fins de mois. La qualité et la productivité étaient tombés au plus bas. Les hommes d'affaires louchent rôdaient et c'est un miracle que Dacia ait échappé au destin d'Oltcit ou d'Aro.

D'après la légende, Albert Schweitzer était de passage à Moscou, à la fin des années 90. Il aurait été étonné de voir autant de Lada. Il aurait alors eu une idée : produire un ultra-low cost moderne. Et comm Renault n'avait pas de marque dédiée, il allait racheter Dacia !

Plus prosaïquement, en 1991, Renault avait déposé une offre de rachat de Škoda. Il fut écarté au profit de Volkswagen (qui proposait de maintenir la Favorit.) La firme au losange se rabattit sur Revoz, mais ses capacités de production étaient limitées. Aussi, le site ne possédait pas de compétences en développement. Contrairement à Dacia.

De plus, l'ultra-low cost pour l'Europe Orientale, c'était une idée dans l'air. Fiat avait connu un succès mitigé avec les Siena et Albea. Il fallait être plus radical. Dacia avait un savoir-faire et malgré le délabrement de Pitești (tant du site que du moral de ses occupants), il conservait une notoriété positive.

Toutes les routes menaient aux Roumains. En 1999, la firme au losange devient actionnaire. Immédiatement, il fallu investir lourdement pour moderniser l'outil industriel, faire venir des fournisseurs digne de ce nom, former le personnel, etc.

Dacia était sauvé. Mais l'objectif, c'était de concevoir une voiture à 5 000€, la future Logan. Ce sera le début d'une histoire qui dépassa les rêves les plus fous de Louis Schweitzer.
Parmi la dizaine de constructeurs d'Europe de l'Est (hors ex-URSS et VUL), seuls Škoda et Dacia existent encore.

La 1300, elle, parti discrètement en 2004... Mais la version pick-up poursuivit son chemin jusqu'en 2006. Au total, un peu moins de 2 millions de "R12 Roumaines" furent produites.

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