Shanghai SH760A par XCarToys

XCarToys vient de lancer une réplique au 1/64e de la Shanghai SH760A. En tant que première voiture Chinoise produite en moyenne série, c'est une addition de choix dans mon musée miniature de la voiture Chinoise !

Faut-il préciser que la miniature est finement réalisée ? Comme d'habitude, XCarToys s'est attaché à reproduire le moindre détail.
A la limite, la miniature est plus propre que la vraie ! Même sur la fin, les "Shanghai" étaient assemblées dans un processus semi-industriel très approximatif (on y reviendra), avec une finition déplorable.

Signalons que le fabricant souhaite désormais organiser son vaste catalogue. La Shanghai inaugure la série "Vintage". Elle est également vendue en coffret collector avec un porte-clef.

La plupart des Shanghai étaient noires, blanches ou anthracite.

Le gros des "Shanghai" fut produit dans la période 1975-1985 et ce bleu cobalt était gentiment désuet. C'était le symbole d'une industrie figée dans les années 50.

Il rappelle aussi la couleur de cette "Phoenix" (l'ancêtre de la Shanghai) dans cette célèbre image de propagande. Le slogan lit "construisons la voiture Chinoise". Il date de 1961, alors que la voiture était encore très, très loin de la pré-série. Notez que même pour la propagande, les voitures étaient assemblées à la main, avec une poignée de caisses nues alignées au fond...

Comme d'habitude, on va faire des parenthèses dans les parenthèses.

L'attrait des élites Chinoises pour l'automobile est antérieur au communisme.
L'impératrice Cixi fut le premier automobiliste Chinois. C'était assez étonnant, compte tenu de son aversion pour toute modernité technologique ou sociale.
Sun Yat-Sen se montrait volontiers avec sa Buick. Pour le premier président Chinois, cela faisait parti intégrante d'une image d'une Chine moderne et dynamique.
Dans les années 30, la jeune République Chinoise s'émiettait. Inquiets de l'impérialisme Japonais, les Américains firent le tour des seigneurs de guerre. Ils offraient des Ford V8 contre un soutien au Guomindang. Dans les provinces reculées du Nord-Est, c'étaient parfois les seules voitures. Pendant ce temps, Puyi, le dernier empereur, reçu une Cadillac aux chromes dorées de la part des Japonais.
En 1949, les nouveaux maîtres voulurent à leur tour des voitures. Au-delà de l'aspect statutaire, il s'agissait aussi de pouvoir se déplacer dans un pays aux infrastructures ferroviaires ou aéroportuaires rares. Ils se motorisèrent comme ils purent : voitures Américaines issues du setlement, Jeep Willys de l'armée du Guomindang, etc. Plus tard, le grand frère Soviétique expédia des échantillons des pays communistes : FSO, Škoda, Tatra...

A la mort de Staline, les relations se tendirent entre l'URSS et la République Populaire. Plus question de fournir des voitures ! C'est là que la Shanghai City Power Manufacturing Company se leva. C'est elle qui allait suppléer les hauts-fonctionnaires !

Shanghai est une ville qui émergea relativement tard, dans l'histoire Chinoise. Ce fut longtemps une collection de villages de pécheur. L'endroit était connu sous le nom de "沪", du nom d'une nasse utilisée là-bas. D'ailleurs, on retrouve le caractère "沪"sur les plaques d'immatriculations shanghaïaises. L'empire se développa surtout dans son centre.
Au VIIIe siècle, l'empereur installa là une garnison, pour se protéger des pirates venus du Japon. Mais ce n'est qu'au XIIIe siècle que l'empereur fit réunir plusieurs village pour créer l'arrondissement de Shanghai. Le nom "上海" signifie littéralement "après, [c'est la] mer". Depuis, la cote s'est déplacée à l'est. Shanghai ne gagna de l'importance qu'au XVIIIe siècle. Ce port en eau profonde était une porte d'entrée vers le commerce avec le Pacifique.
Peu après, c'est justement de par cette position, à l'embouchure du Yang-Tsé-Kiang, que les Anglais voulurent coloniser Shanghai. A l'issue de la première guerre de l'opium, les occidentaux s'installèrent là, en 1845. Bientôt, ils fondèrent la municipalité de Shanghai, installèrent le train, le télégramme, l'électricité... Autant d'infrastructures au bénéfice des seuls occidentaux. Avec de nombreux panneaux "interdits aux Chinois".
La bourgeoisie Chinoise était méprisée par l'empereur. Elle se rapprocha des occidentaux, malgré une inimité mutuelle. Ils envoyèrent ainsi des intermédiaires aux confins de la Chine pour ramener le thé, les porcelaines et les antiquités que les occidentaux expédiaient ensuite en Europe. Les Jésuites montèrent des écoles pour "civiliser les barbares". La jeune génération découvrit le fonctionnement d'une démocratie et vers 1900, ils rédigèrent des manifestes (en français) appelant à la mise en place d'un République Chinoise. Plus tard, ce furent les idées communistes qui infusèrent. En 1921, c'est à Shanghai que naquit le Parti Communiste Chinois. Shanghai, ville portuaire, avait besoin de bras. Les paysans, fuyant la misère biblique des campagnes, postulaient comme coolie. Les patrons les traitaient avec d'autant moins d'égard que si un coolie était victime d'un accident, dix Chinois venaient toquer à la porte de l’entrepôt, pour prendre son travail.
En 1845, lorsque les occidentaux s'installèrent, Shanghai était une ville de 250 000 habitants. En 1900, il y avait 6 774 occidentaux parmi les 306 278 Shanghaïais. Le commerce continuait de prospérer. Les premières usines émergeaient. Malgré l'arrivée de Russes "blancs", en 1918, la population occidentale n'atteignait que 26 965 habitants, en 1935. Insuffisant pour faire tourner l'économie. Tout en se gardant les postes de direction, les occidentaux sinisèrent l'encadrement. Une classe moyenne Chinoise apparue, de quoi créer un appel d'air, avec 1 112 860 habitants.

Ville cosmopolite et prospère, Shanghai était forcément suspecte aux yeux du PCC. Les occidentaux avaient fui dans les années 40. Pour le PCC, les Shanghaïais étaient suspecté d'avoir été "contaminés par les occidentaux" et d'être "droitier". Pour les remettre au pas, le PCC rasa le quartier des plaisirs, pour le remplacer par des usines.
En 1955, des garages PL, des constructeurs de machine-outils et des équipementiers furent réunis sous l’appellation Shanghai City Power Manufacturing Company. L'objectif était alors de fournir des équipements aux usines de camions qui poussaient en Chine. Puis, l'entreprise voulu créer une voiture destinée aux haut-fonctionnaires de la République Populaire. 

A la même époque, BAIC travaillait sur un projet très similaire. Ça n'a rien d'une coïncidence. On a deux des rares acteurs possédant un semblant d'expérience (FAW ayant déjà fait sa part du boulot, avec Hong Qi.) On a surtout deux villes (Pékin et Shanghai) clairement dans le collimateur du PCC et qui en rajoutaient donc, pour sauver leur peau...

Comme pour la Dong Feng CA71, en 1958, les Shanghaïais partirent d'une voiture existante. On l'a vu plus haut, l'allié Polonais avait expédié des FSO Warszawa en Chine. Trois d'entre d'elles furent démontées et remodelées. Mais le modèle, dérivé de la Gaz M20 "Pobieda", commençait à dater. Surtout, depuis qu'elle avait coupé les ponts avec l'URSS, la Chine se retrouvait également isolée des "pays frères". Notez que les phares, eux, provenaient d'une Packard Patrician.

Une Mercedes-Benz 180 W120 (sans doute obtenue via un société-écran à Hong-Kong) fut sacrifiée. D'où ce montant "C" si caractéristique. Le 2,2l culbuté 85ch, lui, provenait d'une 219 (W105.) On retrouvait les phares de Packard. Ainsi naquit la Shanghai SH760 Jinfeng (Phénix), en 1959.

De 1959 à 1964, l'état Chinois s'offrit une dizaine de Mercedes-Benz 180 et les replâtra. Le seul intérêt, c'était de montrer que la Chine produisait des voitures !
En 1964, les premiers composants "made in China" apparurent. Le 2,2l gagna un arbre-à-came en tête et délivrait ainsi 90ch. Shanghai City Power Manufacturing Company en assemblait quelques dizaines par an.
A la fin des années 60, l'entreprise publique se renomma "Shanghai Tractor & Automobile Corporation" (STAC.) Elle comptait produire des SH760 à un rythme semi-industriel. A cette occasion, tout l'avant allait être remodelé (en s'inspirant de la Peugeot 204, lancée en 1965 ?) Une remplaçante était déjà en chantier. Puis l'histoire rattrapa STAC...

La purge était consubstantielle du maoïsme. Durant la Longue Marche, déjà, il avait fait neutraliser les ambitieux et les tièdes. Alors que son Armée Populaire devait lutter pour sa survie. Les purges continuèrent.
En 1966, Mao lança la Révolution Culturelle. Au début, il s'agissait d'éliminer les derniers cadres du Guomindang -et leurs sympathisants- encore sur le sol Chinois. Comme Staline avec les Bolchéviques, les anciens compagnons de la Longue Marche y passèrent. Le Grand Timonier avait 73 ans et la question de son remplacement se posait. Mao éliminait les prétendants au trône un peu empressés... Liu Shaoqi, successeur désigné, avait osé évoquer la responsabilité de Mao dans les famines du Grand Bond en Avant. Embastillé, on refusa de lui transmettre ses médicaments contre le diabète. Il mourut en 1969. Mao s'appuyait sur les Gardes Rouges, des étudiants fanatisés. Les plus jeunes avaient 12 ans et on leur arrogeait les pleins pouvoirs (jusqu'à donner la mort.)
Puis la machine devint folle. D'ordinaire, dans un génocide, un groupe désigné (police, armée, paramilitaires...) s'attaque à une population identifiée (sur des critères ethniques ou socio-économique.) Ici, c'était le chaos. Tout le monde pouvait accuser tout le monde d'être "bourgeois" ou "droitier". Vous risquiez le lynchage pour des raisons anodines. Y compris des "pensées impures". Il y eu des affrontements armés entre Gardes Rouges. On dénonçait son père ou son voisin, avant de se faire dénoncer. Et les dénonciateurs d'hier pouvaient finir sur l’échafaud, le lendemain. Cette instabilité traumatisa toute une génération. Dans les années 80, certains paniquèrent lorsque les magasins proposèrent des vêtements variés (au lieu du fameux uniforme "col Mao".)

La STAC connu son lot de purges. La production tomba quasiment à zéro, jusqu'en 1974. A cette date, la Chine connu une brève accalmie. Les gens pouvaient se remettre au travail. La version reliftée, SH760A, entra en scène. Un prototype de sa remplaçante, la SH771 (sur base Mercedes-Benz W116) fut construit.

Pendant ce temps, la Révolution Culturelle était théoriquement terminée. Près de 5 millions de Gardes Rouges furent exilés à la campagne. 12 millions d'étudiants et 1 million de Shangaïais prirent également un aller simple.
Lin Biao, nouveau successeur désigné de Mao, tenta un putsch. Ce fut un échec et alors qu'il tentait de fuir avec ses proches, son avion s'écrasa (ou fut abattu.) Zhou Enlai fut un fidèle bras droit de Mao. Mais cet admirateur de Pol Pot fut victime d'un cancer, tandis que Mao souffrait désormais de la maladie de Charcot. Les cadres du PCC se déchirèrent pour la succession. De nouveau, la production industrielle était nulle. Mao mourut en 1976, mais la tension ne retomba que fin 1978, avec le couronnement de Deng Xiaoping.

Ainsi, ce n'est qu'en 1979 que des SH760A sortirent de la STAC -devenue SATIC (Shanghai Automobile and Tractor Industry Corporation)-.
Deng Xiaoping souhaitait motoriser son pays. Il sortit son chéquier pour moderniser l'usine Shanghaïaise. Le résultat, ce fut la SH760B. Principale nouveauté : un 6 cylindres réalésé à 2,3l et surtout, davantage de volumes. Près de 5000 "Shanghai" sortirent désormais chaque année.

La STAC s'était débarrassée de ses cadres. Certains parvinrent à revenir du laogai et ils reprirent leur travail avec une ardeur patriotique. Néanmoins, la SATIC n'avait jamais eu ni le savoir-faire, ni l'outil industriel pour produire davantage. L'état Chinois en était de nouveau réduit à importer des véhicules. Le plus souvent, lorsque la Chine exportait ses produits, elle se faisait payer tout ou partie de la commande en voitures.
En théorie, un particulier pouvait acheter une "Shanghai". Mais son prix était hors de portée des Chinois. Aussi, il n'existait pas de concessionnaires SATIC. De fait, seuls les hauts fonctionnaires pouvaient en posséder. Sur la place Tienanmen, des rares berlines -souvent noires- fendaient ainsi une mer de vélos.

L'ultime évolution de la "Shanghai" fut le binôme SH7221 (2,2l)/SH7231 (2,3l), en 1989. Elles étaient reconnaissables à leur calandre noire mate. Mais les fonctionnaires n'en voulaient plus. En 1991, la 79 526e et dernière "Shanghai" sortie de chaine, dans un anonymat total.
Beaucoup de voitures furent ensuite jetées à la casse, ferraillées ou tout simplement abandonnées. La "Shanghai" leur rappelaient surtout de mauvais souvenirs. Exactement comme les voitures des Pays de l'Est, à la chute du Mur. Désormais, on garde précieusement les Shanghai. Personnellement, en cinq voyages en Chine, je n'en ai croisé aucune.

L'histoire possède néanmoins un happy end.

Deng Xiaoping a vite compris qu'il ne fallait pas juste remettre en route les usines Chinoises. Il fallait un investissement massif, à tous points de vue. Lorgnant sur le voisin Japonnais, il négocia la productions d'utilitaires légers sous licence. Toyota proposait également des voitures particulières (en l'occurrence, des Crown), mais la Chine traina les pieds.
Le pays passa un appel d'offre pour produire une grande berline. SATIC possédant des compétences, il se chargerait de l'assemblage. Deux constructeurs répondirent : Citroën et Volkswagen, alors tous les deux au creux de la vague. Volkswagen remporta la mise. Les tous premiers kits de Santana furent assemblé en 1984, aux côtés de la "Shanghai". Mais ensuite, Shanghai-Volkswagen disposa d'une unité dédiée.
Bientôt, la SATIC produisait davantage de Santana, que de Shanghai. L'arrêt de la production de la berline Chinoise, fut contemporain d'une évolution du CKD, vers le SKD, puis le BU, de la Santana.
La SATIC devint SAIC (Shanghai Automotive Industry Corporation) et elle accompagna la montée en puissance de l'automobile Chinoise. Avec la création de Shanghai-GM, SAIC approcha rapidement le million de voiture produite, puis le million de voitures annuel et enfin, le million de voiture annuel par joint-venture. Des volumes naguère inimaginables, y compris chez les plus
GM tint à lui atteler Wuling. Cela marquait également le premier site industriel du groupe hors de son fief Shanghaïais. Depuis l'arrêt de la berline Shanghai, SAIC n'avait plus aucune production propre. Les prototypes, études et autres concept-cars, comme la Phoenix de 2008, firent tous long feu. Plutôt que de créer sa propre marque ad hoc, SAIC souhaita racheter un constructeur. Il profita de l'implosion de Daewoo pour récupérer Ssangyong. Un flop. Puis SAIC lorgna sur un MG-Rover en plein naufrage. Le Petit Poucet NAC lui souffla l'essentiel du butin et avec ce qu'il restait, il créa Roewe. Souffrant d'indigestion, NAC était malade. Sur injonction de l'état Chinois, SAIC absorba son rival. Il y gagna MG et une joint-venture avec Iveco. Dans la foulée, il s'offrit Maxus, en 2009.
Au lieu de simplement produire indéfiniment des modèles déjà anciens, SAIC investit dans MG/Roewe et dans Maxus. NAC avait déjà posé des orteils hors de Chine et le nouveau propriétaire poursuivit l'effort, privilégiant l'implantation sur le long terme. Autant de politique à rebours des autres constructeurs étatiques, qui vécurent de la rente des joint-ventures.

En terme d'innovation et de volontarisme, l'industrie automobile Chinoise de 2023 est dominé par les acteurs privés (Byd, Geely, NIO...) SAIC est la seule entreprise publique du peloton de tête. Et c'est grâce à la Shanghai, première pierre de l'empire...

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