Hispano-Suiza Carmen Segrara


La nouvelle Hispano-Suiza est de passage à Paris. L'occasion d'un point sur la renaissance de la marque. Je me devais d'assister à un tel événement...


L'avenue Montaigne est parsemée de palaces, de boutiques de luxe et bien sûr, de grosses cylindrées. Les passants n'y font plus attention. Même en orange, cette Aston Martin passe inaperçue !

Par contre "mon" Hispano-Suiza attire les regards... Ne serait-ce qu'à cause de la nuée de photographes autour. "C'est qui ?" s'enquiert une passante. "C'est la voiture, la star !"

Hispano-Suiza et moi, c'est une longue histoire ! Il y a bien sûr "l'Hispano-Suiza" de mon grand-père et mon H6A "roi de Grèce" GLM au 1/43e. Cela me rappelle aussi la H6B sans roue de la pub Michelin "pour que vos rêves ne s'arrêtent jamais"...

En 2001, j'avais postulé chez Hispano-Suiza (aujourd'hui Safran Transmission Systems.) Cette usine d'alternateurs pour avions est basée dans l'usine où furent produites les voitures. Hélas, l'entretien collectif où j'avais participé n'avait rien donné.

Et plus récemment, en 2022, j'ai participé à un séminaire achats-approvisionnement sur le site Arquus de Limoges.
A la fin des années 30, la France voulait s'armer. Jusque là, les gouvernements avaient eu des politiques contradictoires, passant de grosses commandes un jour, que le gouvernement suivant annulait. Beaucoup d'acteurs étaient au bord de la faillite. Notamment chez les équipementiers aéronautiques. Pour agir vite, l'état prit tout ou partie d'équipementiers. Il devint ainsi actionnaire principal d'Hispano-Suiza. L'entreprise franco-espagnole était scindée en deux, avec la guerre civile Espagnole. Or, les deux entités étaient complémentaire dans la fabrication de moteurs. C'était d'autant plus problématique que le V12 "12Y" motorisait la plupart des avions de combats tricolores. Signalons que le 12Y était apparenté au V12 de la J12 de route.
En 1939, l'état Français décida la construction de deux ateliers dédiés à l'aéronautique, à Limoges. La ville étant hors de portée des bombardiers allemands. Le site de l'Arsenal construisit des moteurs 12Y. Malgré tout, nombre d'avions se retrouvèrent cloués au sol en 1940, faute de pièces. En 1944, les Britanniques bombardèrent l'usine. Mais il fut reconstruit à l'identique avec ses bâtiments crénelés et son château d'eau caractéristiques.

Retour au Plaza Athénée. Nos hôtes du jour sont (de gauche à droite), Victor Cobos -responsable marketing- et Sergio Martinez Campos -PDG-.

La présentation commença par un historique. Emilio de la Cuadra voulait construire des voitures électriques. Il embaucha l'ingénieur Suisse Marc Birkigt et ils passèrent aux thermiques. La Cuadra, devenue Fàbrica Hispano-Suiza de Automòviles fit naufrage en 1902. Francisco Seix convainquit l'homme d'affaire Damiàn Mateu de reprendre l'entreprise et de conserver Birkigt. C'est ainsi qu'en 1904, Mateu fonda la Hispano-Suiza Fàbrica de Automòviles, "le" Hispano-Suiza. Les premières voitures sortirent d'un atelier à Segrara, un quartier de Barcelone.
Damiàn Mateu était un ardent monarchiste. Le roi Alfonse XIII lui commanda une Hispano-Suiza spéciale, en 1908. La Type Alfonse XIII fit la renommée d'Hispano-Suiza. Marc Birkigt joua les VRP, vendant des licences de fabrication. Celle des Suisses Paul Piccard et Lucien Pictet fit long feu. Dès 1910, ils créèrent leur marque, Pic-Pic. En Bohème, le partenariat avec Vàclav Laurin et Vàclav Klement dura une vingtaine d'années. Jusqu'à l'incendie de l'usine et le rachat par Škoda... Et il y eu bien sûr la France. Une Hispano-Suiza remporta la Coupe de Boulogne, en 1910 et ce fut un moment fondateur. On parle bien sûr de Boulogne dans les Hauts-de-Seine. Dans les années 20, il exista une autre Coupe de Boulogne, à Boulogne-sur-Mer. Hispano-Suiza en remporta les trois premières éditions.
L'entreprise connu une grande époque dans les années 20, avec la H6. Au début des années 30, la France traversa une crise économique, qui toucha de plein fouet le secteur du luxe. Marc Birkigt prit sa retraite en 1930 et Damien Mateu mourut en 1935. En 1938, l'état Français reprit donc Hispano-Suiza [France] et il arrêta la production automobile.

Carmen Mateu, petite-fille de Damian, fit jurer à son fils Miguel Mateu, de relancer Hispano-Suiza. Un premier prototype fut dévoilé en 2019, un an après la mort de la matriarche. Miguel Mateu la baptisa donc "Carmen".

Bien sûr, je ne suis pas d'accord avec l'historique.
Certes, la victoire à la Coupe de Boulogne installa Hispano-Suiza en France. Mais c'est Peugeot qui fit sa renommée. Car, en 1912, Robert Peugeot voulu concevoir une voiture de Grand Prix (l'actuelle F1.) Son pilote-vedette et chef de projet, Jules Goux, se rapprocha d'Hispano-Suiza. Paolo Zuccarelli et Ernest Henry étaient des proches de Marc Birkigt. Une partie de la conception de la voiture fut sous-traitée à Bois-Colombes. Les "Charlatans" de Peugeot s'installant à un jet de pierre de là.
Durant la Première Guerre Mondiale, Birkigt conçu des avions, puis des moteurs d'avions. Très prisés, ils permirent de maintenir l'activité à Bois-Colombes (alors que les autres marques de luxe subirent quatre années sans la moindre recette.) Et après-guerre, l'ingénieur transposa des techniques de l'aéronautique (utilisation des alliages légers, V12...) à ses automobiles. C'est grâce à cela que les Hispano-Suiza dominèrent l'entre-deux guerres.
Curieusement, en 1949, Hispano-Suiza dévoila une luxueuse berline à moteur de Ford F-472, mais en traction ! Un projet sorti de nul part, jamais présenté au public et a priori orphelin.

Nos hôtes insistent sur l'ancrage Espagnol d'Hispano-Suiza, mais ils ont un trou de mémoire sur les années 30. Miguel Mateu (à ne pas confondre avec l'actuel patron d'Hispano-Suiza) succéda à son père, Damiàn. En 1936, la gauche (mené par les anarchistes) gagna les élections et l'usine Hispano-Suiza de Barcelone fut occupée. En 1936, la guerre civile éclata. Monarchiste, comme son père, Miguel Mateu fuit dans le camp nationaliste, où il se rapprocha de Franco. Barcelone et Guadalajara, les deux usines d'Hispano-Suiza, étaient en terre républicaine. Nationalisées, elles fournirent canons, moteurs d'avions et camions (issus de licences Fiat) aux républicains. L'usine de Tablada fut la seule en territoire nationaliste. Elle devint une entité indépendante, Hispano Aviaciòn et produisit des avions.
En 1939, les nationalistes vainquirent les républicains. Miguel Mateu devint maire de Barcelone et administrateur de la banque La Caixa. Il eu également un rôle actif dans l'échafaudage du consortium étatique INI. La fabrique de camions prit le nom de Pegaso. Outre Hispano Aviaciòn, Hispano-Suiza survécu avec les voiturettes Fàbrica Hispano et les moteurs Hispano Villiers, qui équipèrent la plupart des voiturettes Espagnoles des années 50-60. Miguel Mateu mourut en 1972. La même année, Hispano Aviaciòn fut fondue dans CASA.
Carmen Mateu, fille de Miguel (...Et mère de l'actuelle Miguel) géra avec son mari le groupe Peralada (hôtels, casinos et vignobles) Elle était patronne d'Hispano-Suiza (Espagne), mais il s'agissait a priori d'une coquille vide.

Le troisième gros point, c'est que ce n'est pas la première tentative de renaissance d'Hispano-Suiza, ni la seconde !
En 2000, Mazel Engineering négocia auprès de la SNECMA et du groupe Peralada, le droit d'utilisation du nom Hispano-Suiza. Il dévoila une supercar HS21 équipée d'un V8 BMW. L'année suivante, le bureau d'étude espagnole dévoila la berline K8. Puis ce fut l'hypercar HS21 GTS, en 2002. Suivi en 2003 par... La HS21 de 2000, repeinte. Mazel Engineering n'avait pas vocation à produire des voitures. Il s'agissait de montrer son savoir-faire. Après d'autres prototypes, l'entreprise disparu.
Au salon de Genève 2010, Erwin Himmel dévoila la Maguari, une Audi R8 recarossée. L'ex-designer d'Audi annonça une Hispano-Suiza Manufaktur (avec l'accord de Safran.) Un second prototype fut présenté en 2019 (en même temps que la Carmen.) L'Hispano-Suiza Manufaktur n'a jamais décollé et elle sombra officiellement en 2022.
Pendant ce temps, Sagem et SNECMA fusionnèrent en 2005. La nouvelle entité s'appelait Safran et c'était une collection filiales et de sous-groupes. Pour clarifier cela, Safran fit fît de l'histoire. Le groupe fut redécoupé en entités, avec des noms commençant par "Safran". Hispano-Suiza devint ainsi Safran Transmission Systems. Au lieu de vendre un droit d'utilisation renouvelable, Safran put vendre l'usufruit complet de la marque (comme il le fit avec Bugatti ou Zodiac.)

La Carmen s'inspire du prototype Dubonnet Xenia de 1938 (vu à Chantilly, en 2022.) Mais on peut y voir une parenté stylistique avec la HS21 de Mazel Engineering.

Après la Carmen (2019) et la Carmen Boulogne (2022), Hispano-Suiza a dévoilé la Carmen Segrara. Si vous avez suivi, "Carmen" fait référence à Carmen Mateu, la mère du propriétaire et "Segrara", comme le tout premier site de production d'Hispano-Suiza.

J'aime bien son style très ramassé, très nerveux. Il rappelle les Audi R8 (pour l'avant) et Ford GT (à l'arrière.) Les porte-à-faux sont réduits. Elle a sensiblement le même empâtement qu'une McLaren Speedtail, mais elle lui rend 40cm en longueur, à 4,7m.
Par rapport à la Boulogne, on remarque surtout l'aileron arrière, en deux parties, façon Pagani Zonda et le carbone moins apparent. Le traitement se veut plus luxueux, avec les disques de 400mm apparents et des sigles ici et là.

Elle reprend la motorisation 820kW de la Carmen Boulogne. Par contre, la batterie passe de 80kWh à 103kWh. De quoi obtenir une autonomie de 480km en cycle WLTP... Alors que la Carmen Boulogne annonçait 500km d'autonomie.

L'intérieur est à l'avenant de l'extérieur. C'est sportif, chaleureux et raisonnablement moderne. On sent qu'Hispano-Suiza vise une clientèle de connaisseurs un peu grisonnants. Pas les jeunes fils-à-papa des BRICS...

Surtout, encore une fois, il y a des efforts de finition et de présentation. Cette Segrara est plus aboutie que les Boulogne et Carmen ∅. On n'est plus sur de la voiture destinée à être exposée à Top Marques. Hispano-Suiza veut se positionner en constructeur. 

Après, je suis dubitatif sur les moyens techniques et financiers de la marque. 

Autant Hispano-Suiza nous a montré son show-room, autant il est prodigue en images de son atelier de fabrication. Le constructeur a repris un bâtiment à Montmelò, en bordure du circuit (où il organise des journées d'essai.) Il est également peu loquace sur ses chiffres de production, d'éventuels partenariats techniques ou des recrutements de personnes clefs. 

Infortunatus qui non viderunt, et crediderunt...

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