Passer un mois, comme pilote de l'équipe Gordini, ça vous tente ? En 1951, Ziama Salomon Fisson, alias Pierre Fisson, signait ce livre devenu incontournable. Mêlant réalité et fiction, exactement comme
Naissance d'une Dauphine.
Ainsi s'achève mon triptique de livre lus durant l'été ! Les Princes du Tumulte est contemporain de Hot Rod, mais les deux livres sont aux antipodes.
Pierre Fisson n'était pas un auteur de "romans de hall de gare" ; il avait davantage d'ambitions comme écrivain. Avec derrière, un éditeur, René Julliard, qui avait vocation à jouer les francs-tireurs. Il publia ainsi Françoise Sagan, quelques années plus tard.
Notez que l'ouvrage a été réédité aux Editions du Palmier. Il est donc relativement diffusé.
1990. L'échec de La Cinq laissait un trou dans les finances de Robert Hersant. Pour relancer les ventes de son pôle presse masculine, L'Homme N°1, sortit un hors-série. 40 ans de l'Auto-Journal, s'appuyait sur l'anniversaire du titre (et du départ en retraite de Gilles Guerithault.) C'était un ouvrage très touffu. Ce fut un succès... Et un véritable aimant à annonceurs !
Tant qu'à faire,
l'Auto-Journal remit cela quelques mois plus tard avec
Années 50. Comme le hors-série
40 ans, c'était un mélange de témoignages de témoins de l'époque, de rétrospectives et de disgressions. Avec notamment un article sur Gordini et Amédée Gordini. Car avant les fameuses
Renault Gordini, il fut un moine-soldat du sport automobile. Faisant
beaucoup, avec très peu de moyens.
L'article se terminait par un encart de deux pages sur les Princes du Tumulte, avec un extrait. Quelque chose tombé de nul part, qui n'a pas été reproduit sur d'autres articles. Alors que par exemple, l'article sur la DS aurait pu s'achever par la Mythologie dédiée, de Roland Barthes. Ca m'avait d'autant plus marqué que suite à une erreur d'impression, il y avait un bout déchirer de l'article, glissé entre les deux pages.
A l'époque, j'avais 12 ans. Vu comme ça, ça me semblait être une histoire assez poussiéreuse. Puis, récemment, sur les réseaux sociaux, quelqu'un fit une allusion à ce livre. Et dans la foulée, j'en ai acheté un tirage original.
En 1950, Pierre Fisson accompagna l'équipe Gordini sur les Grand Prix de Monaco, d'Aix-les-Bains et de Berne. Le Championnat du Monde des Conducteurs (l'actuelle F1) venait d'être lancé. Néanmoins, Amédée Gordini sélectionnait les épreuves en fonction des primes de départ, quitte à préférer des épreuves hors-championnat.
Pierre Simon en tira un roman. Il modifia un peu le déroulé des courses. Surtout, il créa le personnage de Jean-Pierre l'Archange. Il était vaguement basé sur André Simon.
Suite au décès de Jean-Pierre Wimille, Gordini avait le Parisien, pour la saison 1950. Aux côtés de Maurice Trintignant et de Robert Manzon. Il fêtait ses 30 ans et attaquait sa troisième saison. Il n'était donc pas aussi novice que son alter-ego.
De plus, Jean-Pierre L'Archange avait disputé le Grand Prix de Madrid 1949, où il s'était grièvement blessé. Pour payer ses frais médicaux, le Français avait du revendre tout ce qu'il avait. 9 mois plus tard, Gordini lui offrait la chance de sa vie. A 20 ans, il devenait pilote "usine". Dans le livre, le camion Lancia emportant sa voiture arriva juste à temps pour les essais libres de Monaco (dans la vraie vie, il arriva hors-temps et André Simon fut forfait.) Benjamin de l'équipe, Jean-Pierre l'Archange était la coqueluche de Gordini. Il n'en restait pas moins traumatisé par le Grand Prix de Madrid 1949.
Pour ajouter de la confusion entre fiction et réalité, il y a quelques photos, insérée entre les pages.
Francis Liebert a été pilote dans les années 60 et il fut contributeur de
Mémoire des Stands. Son père, pilote de ligne, prêtait bénévolement mains fortes à Gordini. Pour autant, le "Liber" qui apparait était un quasi-homonyme, qui a vraiment existé. Et pour info, le Nello Pagani, au départ d'Aix-les-Bains, n'avait aucun lien avec Horacio, bien qu'Argentin.
La prose est assez moyenne. Pierre Fisson n'a pas cherché à creuser les personnages. Parler d'Amédée Gordini, sans évoquer ses parties de belotes bridgées... A la limite, Maurice Trintignant ou Robert Manzon, on les connait déjà un peu. Mais les autres, on a du mal à s'attacher à eux. Était-ce pour sous-entendre que chez Gordini, seul le compte en banque des pilotes comptaient ?
Il y a tout même plus qu'une évocation de Fangio. Cet espèce de héros de la mythologie grecque, qui triomphait du chaos monégasque sous les vivas. En 1950, Juan Manuel Fangio n'avait pas encore décroché cinq titres. Il était arrivé, l'année précédente d'Argentine, avec
la fameuse Maserati de l'Automobile Club Argentin. Il devait jouer des coudes dans un peloton truffé de pilotes de renom (Chiron, Etancelin, Farina, de Graffenried, Lang, Rosier, von Stuck, Villoresi...) Et pourtant, déjà, en 1950, pour le public, il y avait Fangio et les autres.
Mention spéciale aux mécanos : Athos, Gregor, Lesurque, Mimile. Ils ont un côté chœur de théâtre grec, commentant l'action, avec une certaines distances. Pierre Fisson les dépeints également en anars un peu cyniques. Des personnages secondaires typiques du cinéma de l'époque. Le tout avec un authentique argot parisien !
Le personnage de Jean-Pierre l'Archange est loupé. Pierre Fisson a voulu créer une espèce de proto-Michel Vaillant, avec un aspect héros romantique du XIXe siècle. Son pilote se pose beaucoup de questions existentielles et il dédaigne une jeune femme qui lui tombe littéralement dans les bras ! Plus improbable : il avoue timidement à cette femme qu'il est pilote de Grand Prix. Alors qu'en vrai, c'est la première chose qu'un pilote dit. A l'instar d'un végan ou d'un vélotaf : il faut que tout le monde le sache !
Mais l'intérêt du livre, c'est de plonger au cœur de Gordini. D'entrer dans l'ancien hôtel particulier du boulevard Victor. D'assister à la naissance, puis aux courses des T15, ces minuscules monoplaces basées sur des Simca 8. Et il affrontait les Alfetta. C'était un véritable combat de David contre Goliath.
Je ne vais pas vous sortir le couplet de "c'est un livre encore d'actualité..." Non, on n'imagine pas, aujourd'hui, un pilote de F1 conduire le camion-atelier ou un team-manager décider de son line-up l'avant-veille de chaque course ! Gordini, c'était une équipe d'une vingtaine de personnes, organisée en soleil. Amédée Gordini jouant le rôle de PDG, de team-manager, de chef designer, de responsable logistique, etc.
Ce qui est intéressant de voir, c'est le début de la dichotomie entre l'usine et la piste (alias "dev' " et "exploit' "), avec du personnel dédié. Ce que l'on retrouve, c'est des sentiments, des ambiances. Pierre Fisson décrit longuement la préparation des voitures, avec le passage au banc d'essai et le montage final. Avec la fierté des ouvriers de donner vie à des bouts de métal. Puis la passion des mécanos. Ils râlent, mais ils sont prêts à traverser la France en camion, puis d'assurer les dernier préparatif jusqu'à plus d'heure. Parce qu'ils sont passionnés par ce qu'ils font.
Puis il y a l'esprit de corps, entre pilotes. On se fait des mauvais coups, on se vanne. Mais après la course, on se tape dans l'épaule. Car au-delà des rivalités, les pilotes se retrouvent plusieurs fois par an, pendant plusieurs années, sur les circuits (et souvent, dans les mêmes hôtels, les mêmes vols...) Aussi, ils savent que les pannes, les accidents qui arrivent à l'un, peuvent vous arriver à la prochaine course. On se sert les coudes face à l'adversité et aussi, par corporatisme envers le reste du monde.
Le propos du livre, c'était que les pilotes de 1950 étaient les derniers gladiateurs. Que les Grand Prix devenaient de plus en plus aseptisés et que le danger disparaissait de l'équation. Vu de 2025, cela peut sembler absurde. A Monaco, les pilotes se moquaient d'Alfredo Piàn, sorti de route avec sa Maserati privée. Mais ce n'était pas un accident bénin : l'Argentin n'allait plus jamais toucher un volant. De plus, Raymond Sommer était une espèce de fil rouge. Il cherchait à intégrer l'équipe Gordini et il était gentiment écarté. Le "sanglier des Ardennes" se tua à Cadours peu après l'écriture du manuscrit. Johnny Rives était en tribune et il fit parti du comité à l'origine de la stèle commémorative.
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