Les voitures de Bali


Je suis parti en vacances à Bali. Pour visiter des temples et profiter de paysages à couper le souffle... Mais je n'ai pas pu m'empêcher de prendre quelques photos du trafic local. Et par "quelques", j'entends plusieurs milliers... Attention, ça va être un article très touffu, avec des parenthèses et des parenthèses dans les parenthèses !


En même temps, si vous me connaissiez un peu, vous sauriez que dés que je pars une quinzaine de jours, le décor ressemble presque toujours à ceci :


Chine, Philippines, Malaisie et donc, désormais Indonésie... L'air de rien, je commence à avoir visité pas mal de coins en Asie !

Côté circulation, on voit bien une tendance émerger. La circulation asiatique se caractérise par une surreprésentation des SUV low-cost, des utilitaires moyens et légers et enfin, des deux-roues. En Chine, l'élévation du niveau de vie est telle que ce n'est plus vrai en ville. Seuls les campagnes reculées possèdent encore un parc "asiatique". A Bali, par contre, la proportion de SUV, d'utilitaires et de scooters est maximale !

La circulation est très chaotique. Au-delà de Denpasar, il n'y a plus de feux rouges. Ce sont des agents qui assurent la circulation, sur les gros carrefours.
Les Indonésiens ayant tendance à se garer en marche avant, nombre de grands établissements (hôtels, restaurants, PME...) ont embauché un homme avec un drapeau rouge, pour stopper la circulation le temps qu'un véhicule sorte.

Côté panneaux signalisations, ce sont visiblement les inspirateurs des Electric Test Days : rien n'est indiqué. Et ne vous attendez pas à ce que les croisements de départementales soient particulièrement repérable. Parfois, la départementale qui mène à une grande ville débute dans une simple ruelle.

Bonne chance, donc, à ceux qui voudraient visiter Bali par eux-mêmes ! La voiture avec chauffeur est on-ne-peut-plus conseillée.


Les deux roues

Commençons par les deux-roues. Le scooter est le véhicule individuel de base. En ville, il y a un flot permanent de scooters.

En théorie, il faut avoir 17 ans et être titulaire d'une espèce de BSR pour en conduire un. Aussi, le casque est obligatoire. Voilà pour la théorie.

En pratique, beaucoup conduisent des scooters dès 14 ans. Seules une petite moitié des scooteristes indonésiens sont casqués... Et ils sanglent rarement la jugulaire. Les passagers sont tout aussi rarement casqués.

Notez ici le regard fixe, bien devant soi. Zéro prise d'information. D'ailleurs, les rétroviseurs sont souvent repliés, voire carrément manquants. Le scooteriste indonésien ne s'arrête jamais. Il remonte les files, roule sur le trottoir et n'hésite pas à prendre les sens interdits. Ce kamikaze des rues est plutôt avare sur la poignée des gaz. Les accidents sont curieusement rares. Néanmoins, ils ont un côté Austin Powers : le scooteriste allant vers le contact à un train de sénateur, avec tout le temps du monde pour dévier sa trajectoire.

On voit aussi de rares motos.

Ici, une Benelli Imperiale 400. La vénérable entreprise Italienne est sous pavillon chinois depuis une vingtaine d'années. L'Imperiale n'est d'ailleurs qu'une QianJiang SRC400 rebadgée. En 2016, Geely s'est offert QianJiang. La Chine possède de grosses restrictions d'utilisation pour les grosses motos thermiques. Li Shu Fu espérait faire du lobbying pour modifier cela. L'opération n'a pas réussi, mais Geely conserve QianJiang et Benelli.

Bali est une île montagneuse. Les motos de cross sont assez répandues dans les régions vallonnées.

Des tour operators proposent des découvertes de Bali à moto. Un van suivant la troupe avec les bagages. Les motards touristes sont les seuls à porter des combinaisons ; on les repère de loin.
Puisque l'on évoque les locations, sachez qu'à Canggu, vous pouvez louer un scooter pour 50 000 roupies indonésiennes (soit 2,65€.) Dans la cité balnéaire, on croise beaucoup d'Australiens portant uniquement un short et déjà alcoolisés à 10h. Et pour s'adapter à une clientèle... Hum... Urbaine, il est désormais possible de louer des T-Max à Canggu.

Pour les Balinais, les scooters ne sont qu'un moyen d'aller d'un point A à un point B... Sauf lorsqu'il s'agit d'une Vespa.

En 1972, Piaggio s'associa à une entreprise Danoise et ils ouvrirent ensemble une entreprise en Indonésie. Danmotors Vespa Indonesia ouvrit un atelier d'assemblage près de Djakarta. Les importations étant surtaxées, Danmotors s'offrit la part du lion du marché indonésien. Ils assemblèrent ainsi des Super 150, Sprint 150, PS 150, puis PX 150. Les modèles "made in Indonesia" se reconnaissant à leurs phares spécifiques.
C'étaient des 150cm3 à vitesse. Or les Indonésiens préféraient des modèles à variateurs. De plus, des constructeurs Asiatiques lancèrent à leur tour des joint-ventures indonésiennes. La part de marché de Piaggio s'éroda. Giovanni Alberto Agnelli, l'ambitieux héritier (biologique et industriel) de Piaggio, mourut brutalement en 1997. Danmotors se retrouva livrée à elle-même face à la crise Asiatique, puis la libéralisation politico-économique indonésienne qui en découla. Cliniquement morte en 2001, Danmotors se traina jusqu'en 2008 et la revente de l'usine à Kawasaki.
Mais depuis, les Balinais bichonnent leurs Vespa. Plus que des scooters, ce sont des objets statutaires.

PT German Motor

Culturellement, le Volkswagen des années 50-60 était très imprégné des théories fordiennes. Avec la T, Henry Ford était persuadé d'avoir créé la "voiture universelle". Une voiture permettant de motoriser la terre entière. L'ovale bleu ouvrit ainsi des unités d'assemblage aux quatre coins du monde.
Un demi-siècle plus tard, Volkswagen voulu faire de même. En Asie, il commença par les Philippines. L'Indonésie est le quatrième pays le plus peuplé au monde. Son PIB par habitant est très faible, mais pour les Allemands, la quantité primait sur la qualité.

C'est ainsi que Volkswagen produisit des Coccinelle à Tanjung Priok, près de Djakarta, à partir de 1971. Certaines roulent encore à Bali.

Des Combi (T2), on en croise dans les montagnes, où ils continuent de rendre service. Mais la plupart sont à Canggu. Un Combi, cela donne tout de suite une ambiance "surf" à votre boutique de fringues ou votre bar !

Mais le best-seller de Tanjung Priok, ce fut la 182, alias Camat. C'était la mieux adapté à une Indonésie aux infrastructures routières encore balbutiantes.

Ubud est un ancien village hippie. Un petit malin loue des Camat aux touristes. Néanmoins, on en croise dans tout Bali.

La production Indonésienne ne décollait pas. A la fin des années 70, Volkswagen fermait le chapitre de la Coccinelle et avec elle, celle de dérivés comme la 181/182. Faire assembler des Golf à Tanjung Priok n'avait pas d'intérêt. D'où la fermeture de l'usine en 1980.

Notez que Mercedes-Benz faisait parti de l'aventure German Motor. Il reste ainsi de rares W114 et W115 à Bali.

Les Ricains

Sukarno, le premier président Indonésien, jouait les équilibristes entre les partis islamistes, communistes et nationalistes. Quitte à se montrer complaisant vis-à-vis de communistes cherchant à prendre le pouvoir. Le 1er octobre 1965, des paramilitaires capturèrent huit généraux et les exécutèrent. Neuvième sur la liste, Suharto était absent : il s'occupait de son fils Tommy, qui s'était ébouillanté. C'est sans doute ce qui lui sauva la vie. Suharto -jusqu'ici un second couteau- prit les choses en main face aux putschistes. Il les accusa d'être proche du Parti Communiste Indonésien (PKI.) Puis il laissa les étudiants anti-communistes du KAMI mener des expéditions punitives. Entre cent mille et deux millions d'Indonésiens supposément communistes furent assassinés. Certains étant de simple homonymes ou des sosies de militants communistes. Complètement débordé, Sukarno essaya de reprendre la barre en 1966. Mais un parlement acquis à Suharto acta la marginalisation de Sukarno.

Il y avait alors des mouvements de guérilla communistes en Asie du Sud-Est. Les Etats-Unis cherchaient des alliés. Suharto se présenta en grand ami des Américains. En échange, il reçu de l'aide alimentaire et des équipements militaires. Dont de vieilles Willys M38 (version militaires de la CJ-3A) de seconde main.
Cinquante ans plus tard, certaines ont été conservées, même elles sont très fatiguées. L'Indonésie s'apprête à fêter les 90 ans de son indépendance. La ville de Klungkung compte organiser une parade et elle a sorti plusieurs M38. Ainsi qu'une Ford M151 "Mutt".

Le PKI était devenu groupusculaire après les purges de 1965-1966. Il se réfugia dans une région reculée de Java, s'alliant à un groupe de paysans. Les derniers cadres tentèrent discrètement de reconstruire une base militante. A l'été 1968, les paysans s'en prirent à des militants islamistes du NU, probablement sans s'en référer aux communistes. L'armée indonésienne intervint et elle neutralisa les derniers éléments du PKI.
Globalement, les guérillas communistes d'Asie du Sud-Est avaient échoué à créer "d'autres [guerre du] Vietnam". Les Etats-Unis s'éloignèrent de l'Indonésie.

Côté voitures, l'un des derniers souvenirs de cette alliance est cette Plymouth Valiant.

Japonaiseries

Dans les années 70, les Japonais étaient déçus de leur croissance en occident. Autant, dans les motos, ils se taillaient la part du lion, autant côté véhicules à quatre roues, c'était plus laborieux. Ils se sont retournés et ont considéré le continent asiatique. Du Sous-Continent Indien à l'Extrême-Orient, jusqu'à l'Asie du Sud-Est, le taux de motorisation était quasi nul. Les marques occidentales y sont peu présents, ouvrant une fenêtre aux Japonais. C'était des pays alors extrêmement pauvres et très instables. Oui, mais elles étaient aussi densément peuplées. Donc, même si seul 0,1% des ménages pouvait s'offrir une voiture, cela représentait un potentiel de plusieurs millions de véhicules !
Les responsables export étaient d'autant plus volontaires, qu'ils se vantaient de connaître la zone... L'armée impériale s'était montrée particulièrement cruelle avec les zones conquises. En 1945, les enquêteurs Américains sillonnèrent le continent pour récupérer des témoignages et obtenir des preuves. Malgré les charges accablantes, la population japonaise restait solidaire de son armée. Vers 1950, les Américains décidèrent de tourner la page, élargissant nombre d'officiers et de conseillers militaire en attente de jugement. Ces hommes se reconvertirent dans l'industrie, notamment l'automobile. Presque tout les constructeurs avaient soutenu avec zèle le pouvoir militaire et ils accueillirent à bras ouverts ces "héros", qui n'exprimaient pas la moindre repentance.
Or, les VRP de l'automobile Japonaise se retrouvaient face à des notables souvent issus de la résistance anti-japonaise. Néanmoins, la volonté de faire du business prima sur toute autre considération. Les Japonais proposaient des formules à la carte, de l'importation pure, jusqu'à la production sur place, sous licence. En passant par le CKD, les joint-ventures, etc.

Les Asiatiques avaient besoin de véhicules, oui, mais lesquels ? Les constructeurs s'engouffrèrent dans la brèche, proposant pêle-mêle citadines, grandes berlines, utilitaires kei, pick-up, minivans, autocars, etc. En laissant choisir le marché.

Dans les années 60, plusieurs constructeurs Européens avaient réfléchi à voix haute sur le concept de BTV (Basic Transportation Vehicle.) Une voiture minimaliste destinée aux pays émergents. Mais jusqu'ici, les pays concernés n'en voulaient pas.

En 1971, Toyota posa le pied en Indonésie, en s'associant au distributeur local Astra. En 1975, TAM (Toyota Astra Motor) dévoila le Kijang. Un châssis à échelle, une carrosserie cubique de pick-up ou de break, un minuscule moteur et c'est marre ! La première génération n'avait même pas de porte.

Longtemps seul, il finit par avoir de la compagnie. Mitsubishi créa le Freeca/Kuda/Jolie. Tandis qu'Isuzu lança le Panther, qui singe tantôt le Faster, tantôt le Trooper.

Le jackpot des constructeurs Japonais, en Indonésie, ce sont les utilitaires des poches. Très solides, ils ne rechignent pas à la tâche. Hauts sur patte, ils peuvent affronter sans problèmes les pistes (depuis, la plupart du réseau routier de Bali a été asphalté.) Enfin, de conception simple, ils peuvent être entretenu facilement.

Après coup, on comprend facilement pourquoi ce fut un succès dans toute l'Asie.

Fréquemment, ces petits utilitaires sont chargés bien au-delà du déraisonnable. Comme souvent, en Asie, la charge maximum n'est qu'une suggestion. Contrairement à la Chine, on voit beaucoup de box et de véhicules bâchés. Il s'agit de protéger la cargaison face aux pluies diluviennes.

Et bien sûr, quasiment aucun quai de déchargement, ni d'engins de manutention. Le charriot-élévateur, c'est vos bras !

Pas de semi-remorque, à Bali : aucun intérêt pour une si petite île. Le plus gros, ce sont des rigides et bien sûr, ils sont surchargés. Sachant qu'à Bali, presque toutes les routes sont des 2x1 voies (voire parfois 2x0,75 voies) et que la direction de l'équipement à tracé des routes en quasi-ligne droite à travers les collines. Donc on a des camions qui se trainent en 1 sur des kilomètres, avec des bouchons qui se forment derrière. 

Certes, les ateliers d'assemblage ont souvent produits des véhicules - en particulier les utilitaires - bien après qu'ils aient disparus des chaines occidentales. De quoi compliquer l'estimation de l'âge. Il y a quelques épaves roulantes, mais dans l'ensemble, l'état de conservation de véhicules parfois cinquantenaires est bluffant. D'autant plus que les conditions climatiques sont extrêmes (chaleur, pluie diluvienne, brouillard salin...) et que les Balinais sont très pauvres. Ils investissent donc la moindre roupie dans l'entretien de leur monture. Entretien qui passe souvent par le tuning. En tout cas, la plupart des utilitaires n'ont même pas un pare-choc bosselé. Alors qu'en France, après trois, quatre ans, la moindre camionnette est complètement défoncée !

Ces minibus rouge sont des cars scolaires. Ils patientent devant une école primaire. Les enfants s'assoiront dans ces minibus, qui avaient déjà connus leurs parents et peut-être même leurs grands-parents...

Au jugé, 99% du parc VP/VU est d'origine japonaise. Puis, vous avez des 4x4 que vous croisez à tous les coins de rue.

On commence par le numéro trois, le Daihatsu Taft/Hiline/Feroza. C'est le cousin Indonésien du Bertone Freeclimber. Donc, il n'avait pas droit au diesel BMW (se contentant de moteurs maisons avec puissance à deux chiffres), ni à une finition plus flatteuse. Ca n'empêche pas les Balinais de frimer avec ! Ils sont ainsi fréquemment surélevé et couverts d'autocollants.

Comme Toyota, Daihatsu s'est associé à l'Indonésien Astra, avec une usine près de Djakarta. Daihatsu-Astra a assemblé des modèles 5 portes, mais visiblement, ils n'ont pas eu autant de succès à Bali. Ce 4x4 fut produit pendant près de 31 ans, de 1986 à 2007 !

Le numéro 2, c'est le Toyota Land Cruiser (J40.) J'en ai croisé quelques uns aux Philippines, mais là... Contrairement aux deux autres, il n'a pas été produit très longtemps. TAM a arrêté la chaine en 1984. 41 ans plus tard, il est omniprésent à Bali et il continue de rendre des services.

C'est dire la longévité du Toy'...

Les générations ultérieures du Land Cruiser n'ont pas été produites en Indonésie. Toyota préférant se concentrer sur le Kijang.

Salut les petits clous ! Le numéro un du classement, c'est le Suzuki Jimny (SJ410.) Le constructeur Japonais s'était associé à Indomobil, en 1978. Son usine javanaise produisit le Jimny à partir de 1982... Pour ne s'arrêter qu'en 2006. Avec 2,03 mètres d'empattement et 23cm de garde-au-sol, il est quasi-inarrêtable.

En France, on le connaissait sous le nom de Santana Samurai et il faisait croire aux Mines qu'il était Espagnol. Le Jimny SJ410 a eu pas mal de passeports et d'alias ; à faire rougir un espion de la DGSE ! En Indonésie, il s'appelait Katana. Pour les Balinais, tout 4x4 à empattement court est une jeep. Les Français ont également utilisé ce terme comme nom commun, jusqu'à ce que Sonauto nous fasse la leçon. En tout cas, à Bali, si l'on vous propose une randonnée TT en jeep, il y a de fortes chances pour que ce soit avec un Jimny/Katana.

De 1985 à 1987, Holden commercialisa le Katana pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il y portait le nom de Drover. Pour le distinguer de son cousin et néanmoins rival Jimny (que Suzuki importait du Japon), Holden fit monter cette calandre à phares rectangulaires.

Du coup, Indomobil Suzuki relifta les Katana vendus sur le marché local. Le Drover n'avait convaincu personne et Holden abandonna rapidement l'idée. Indomobil Suzuki revint donc à la calandre originelle.

Le SJ410 est trop moderne pour vous ? Sachez que des SJ20 roulent encore en Indonésie !

Pour ne pas gêner le Katana, Indomobil Suzuki ne produisit le Vitara qu'en 5 portes. Plus encore que le Jimny SJ410, le Vitara a eu quantité d'identités. En Indonésie, il débuta sous son nom japonais d'Escudo.

L'époque était à la lutte pour l'indépendance du Timor Orientale, une ancienne colonie Portugaise. Tout ce qui touchait de près ou de (très) loin au Timor était tabou. Or, l'escudos était la monnaie portugaise. Le Suzuki Escudo devint donc le Sidekick, son nom sur le marché US.

Quant au Grand Vitara, il est vendu sous le nom de... Grand Vitara !

Timor

Ceci n'est pas une Kia Sephia ! C'est une Timor (a priori, une S515.)

La Malaisie est l'ennemi-intime de l'Indonésie. Avec Proton, la Malaisie possédait sa propre marque. Même si les premiers modèles étaient très, très proche des Mitsubishi. L'Indonésie produisait d'avantage de voitures. Mais le pays n'avait pas de modèles et encore moins de marque propre.
En 1996, le ministère de l'industrie annonça la création d'une industrie automobile nationale. Comme par hasard, la société créée par Tommy Suharto, fils du président, décrocha la timbale. Suharto Jr dévoila son plan. Timor serait une joint-venture avec Kia. Dans un premier temps, une usine ultra-moderne, à Cikampek, allait assembler des Sephia. Mais Tommy Suharto visait plus haut. Il demanda à Zagato de lui dessiner des prototypes.
En pratique, Timor se contenta d'acheter un lot des Sephia, d'apposer de nouveaux badges dessus et elles devinrent des Timor ! Il n'y avait même pas la classique pose des roues. Les 40 000 Sephia eurent beaucoup de mal à trouver preneur. En mai 1998, l'Indonésie était traversée par un mouvement de contestation. Suharto, autocrate adepte de la prédation et du népotisme, du partir après 30 ans de règne. Au même moment, Kia buvait la tasse.
Au tournant du millénaire, le constructeur Coréen allait mieux, avec le rachat par Hyundai. Kia tenta de reprendre Timor, en profitant de la mise à l'écart de Tommy Suharto. Il s'offrit ainsi un atelier de CKD. Mais bientôt, la famille Suharto releva également la tête. Tommy Suharto fit saisir l'ensemble de biens de Timor. Ainsi, en 2008, le constructeur ferma pour de bon.

Et les autres ?

Rien de très folichon. Pas de Ferrari ou de Porsche : la classe moyenne supérieure roule en Ford Ranger ou en Mitsubishi L200. La seule voiture un peu sportive que j'ai croisé, c'est cette Toyota GT86 tunée.

Côté BMW et Mercedes-Benz, il y a quelques série 3 E30 et E36, ainsi que des Classe E W124 et W210. Rien de plus récent.

Puis il y a ces vénérables Land Rover 110 Series III. Ils ont du en voir, du pays...

Dans les années 90, l'Indonésie prit un virage libérale, avant même la chute de Suharto. GM, Ford, Daewoo et Hyundai ne voulait pas laisser un marché de 200 millions d'âmes aux Japonais... A l'arrêt de l'Escort, l'ovale bleue comptait expédier l'outillage de l'usine d'Halewood dans une unité construite ex nihilo en Indonésie.
Mais l'équation était insoluble, face aux barrières d'entrée du marché. Pour contourner les surtaxes à l'importation, il fallait produire sur place. Les Japonais avaient de gros volumes, qui permettait des prix bas. Impossible de se contenter d'un CKD. Néanmoins, un production complète n'est rentable qu'au-delà d'un seuil de 50 000, voire 100 000 unités annuelles. Un seuil inatteignable, même à moyen terme.

Tous ce sont cassés les dents. Notamment parce qu'ils n'avaient pas de 4x4 de poche ou de VUL au catalogue. Kia, lui, construisait le Sportage et le Besta. Mais l'imbroglio de Timor lui barrait la route. Hyundai a finalement posé un orteil en 2021, avec de gros SUV.

Les Français sont les grands absents de l'Indonésie. La seule voiture très, très vaguement Française, que j'ai croisé, c'est cette Datsun Go.
Datsun devait être le pendant de Dacia chez Nissan. La marque fut ressuscité avec tambours et trompettes en 2011. La Go dérivait de la Nissan Micra et elle fut notamment produite par Nissan Indonesia. Sa plateforme dérive de celle de X85 (Clio II.) Voilà pour le lien avec la France.

En 2014, l'ADAC testa une Datsun Go, pour le compte du Global NCAP. Lors du choc frontale, la seule centrale se pliait en deux, au niveau des places avant. Et faute d'airbags, les occupants à l'avant venaient taper la planche de bord. Du jamais-vu depuis les années 90. La Go recueillit logiquement 0 étoiles en frontal, de quoi ruiner sa réputation.
Nissan arrêta alors de développer Datsun. En 2020, alors que le monde était focalisé sur le covid, les dernières Go quittaient leur chaine de fabrication. 


Puis il y a les Chinois... Autant l'Asie Continentale avait accueilli à bras ouvert les Japonais, autant elle est méfiante vis-à-vis des Chinois. Culturellement, dans les années 50-60, l'identité nationale s'est souvent forgée à l'insu des Chinois. Les communautés Chinoises, souvent implantées depuis plusieurs siècles, étaient marginalisées. Aussi, les Asiatiques ne sont pas naïfs face à la "Nouvelle Route de la Soie". Ils ont compris que la Chine n'a pas de partenaires, mais des obligés. En dépit du forcing de Pékin, les produits Chinois restent rares en Indonésie. Cela vaut aussi pour la tech Chinoise.

Byd, qui possède une stratégie à l'export très ambitieuse, est présent en Indonésie. Une usine devrait démarrer l'an prochain, à Java.

Wuling est une joint-venture avec SAIC et GM ; une vraie success story. A l'origine, Wuling n'avait pas vocation à exporter. Dès 2008, en Amérique du Sud, GM a commencé à vendre des utilitaires Wuling rebadgés Chevrolet. Ce qui n'était qu'un ballon d'essai n'a eu cesse de s'etoffer. En 2015, Wuling a ouvert une usine à Java ; sa première hors de Chine.
Elle propose des SUV bas de gamme et des fourgonnettes. Curieusement, les petits utilitaires qui ont fait sa fortune - et qui peuplent les routes balinaises - sont absents. Wuling vend également l'Hongguang Mini EV. Lui, par contre, il est importé de Chine. C'est la seule voiture électrique un tant soit peu diffusée à Bali. Les bornes de chargement étant très rares. C'est assez étonnant de ne croiser aucune Tesla, nulle part.

Notons enfin la présence de quelques triporteurs d'origine Chinoise.

Souvenirs Australiens...

Canggu, c'est la ville du surf. Les boutiques de souvenirs proposent des planches en bois miniature. Il y en a sur tous les thèmes, dont l'auto. Et comme il y a beaucoup de touristes Australiens à Canggu (euphémisme), les boutiques proposent des planche de surf Holden et Ford.
On trouve également des posters et des casquettes aux couleurs des deux anciens constructeurs Australiens.

GM et Ford ont sous-estimé l'attachement des "Ozzies" au Made in Australia. Fermer leurs usines aura été le point final d'une série de mauvaises décisions. Aujourd'hui, ils se sont retranchés aux Etats-Unis. Sur le papier, c'est une bonne idée. Ford US a vendu 2 millions de véhicules en 2024, revenant à son niveau pré-covid et GM, 2,7 millions de véhicules, contre 2,2 millions vers 2010. Mais est-ce que cette stratégie du retranchement est vraiment viable sur le long terme ? Poser la question, c'est déjà y répondre...

Canggu, c'est surtout le bar des Australiens. On y trouve de nombreux bars sportifs, qui diffusent en permanence des matchs, dans une ambiance de pubs. Faire plusieurs heures de vol pour s'enfermer dans un bar et regarder la TV. J'avoue que ça me dépasse, comme concept. Il est vrai que le prix des consommations est ridicule : même à Métro, les bouteilles sont plus chères !

En attendant, parmi les sports diffusés, il y a de l'UFC, du Moto GP... Et du V8 Supercars ! Ils connaissent les goûts de leurs clientèle.

L'Indonésie et la F1

Terminons ce grand tour d'horizon avec les marques indonésiennes liées à la F1. 

Il y aurait bien Lamborghini, un temps propriété de Tommy Suharto, l'un des fils de l'autocrate. Mais je n'ai rien vu du tout ayant un lien avec le taureau !
Roy Haryanto fut un espoir Indonésien. En 1994, il courut en karting face à Giancarlo Fisichella et Jarno Trulli. Tommy Suharto avait un vague projet d'écurie Indonésienne, Humpuss (du nom de sa holding.) L'Humpuss F1 aurait dû être propulsée par un inédit V10 Lamborghini. Elle devait débuter en 1996, avec Roy Haryanto à son volant.

Pertamina est né en 1957. L'Indonésie, nouvellement indépendante, avait confisqué les activités locales de Shell. Sukarno plaça Ubno Sotowo à sa tête. Sotowo était proche du père de l'indépendance et d'aucuns le voyaient en successeur. Mais il s'est contenté de gérer la première entreprise Indonésienne. Le pays possède plusieurs gisements à Bornéo, en Nouvelle Guinée et dans la mer de Java. Avec la crise de 1973, Pertamina devint une machine à cash. En 1975, Suharto voulu que la compagnie investisse dans une flotte de supertanker. Les nombreux intermédiaires se sucrèrent au passage et Pertamina faillit couler. L'état Indonésien dut renflouer ses caisses. En 1976, Suharto proposa à Sotowo de créer une entreprise chargée de l'export. Entreprise dirigée par Bambang Trihatmodjo, un autre fils de l'autocrate. Elle se prendrait 0,10$ de commission sur chaque baril exporté. Sotowo refusa et il fut démissionné.
Aujourd'hui, Pertamina n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était. Les gisements pétroliers sont presque taris.
On l'a dit, l'Indonésie a toujours été jalouse de la Malaisie. En 2010, Tony Fernandes lançait son équipe de F1, alors nommée Lotus Racing. Proton poussait Fairuz Fauzy, alors vague pilote d'essai de l'équipe. En réponse à cela, Pertamina couva Rio Haryanto (petit-frère de Roy.) Vainqueur de la Formula BMW Asia 2009, le pilote Indonésien fêta cela par une victoire en GP3. Ensuite, ce fut plus laborieux : quelques podiums, mais surtout beaucoup de week-end "sans". Gag : il fut un temps pilote Caterham Racing en GP2. En 2016, alors qu'il plafonnait en GP2, il devint pilote Manor en F1 (merci, Pertamina.) Pascal Wehrlein lui tourna autour. La seule fois où Haryanto se fit remarquer, c'est lorsqu'il harponna Romain Grosjean, lors d'un chaotique arrêt aux stands ! Aux deux tiers de la saison, Mercedes-Benz sorti le chéquier et Esteban Ocon prit le baquet de l'Indonésien. Pertamina lâcha Manor, qui ferma ses portes en fin de saison. L'Indonésien fit ensuite un peu de GT et il servit de pilote d'essai pour la FE "Gen 2".

KFC, c'est l'un des derniers endroits où vous vous attendrez à voir quelque chose en lien avec la F1... Puis il y a leur slogan : Jagoya Ayam, champion du poulet. Voilà qui devrait vous rappelez des souvenirs, non ? Et si je vous dit que le patron de KFC Indonésia est Ricardo Gelael, toujours rien ?

En 1957, Dick Gelael ouvrait une modeste superette avec sa femme. En 1972, il convainquit des partenaires pour ouvrir une supermarché. Puis un deuxième et une troisième, etc. Mais son plus gros coup, il fut en 1978. Alors que KFC n'était encore qu'une franchise americano-américaine, Dick Gelael obtint les droits pour l'ensemble de l'Indonésie. Dans les années 90, l'Indonésie s'occidentalisa. La jeunesse se mit au poulet frit et Gelael Sr se retrouva en position de force. Rappelons que l'Indonésie, c'est le quatrième pays le plus peuplé au monde.

Ricardo Gelael, le fils de Dick, voulu jouer les pilotes. Néanmoins, le pactol ne fait pas tout et sa carrière fut brève. Ricardo poussa ensuite son fils Sean. Ricardo managea également Antonio Giovinazzi. Ce jeune Italien expatrié en Asie devait servir de coach.
Pour ses débuts en automobile, "Gio" remporta la Formula Pilota China, en 2012. Lors de la finale, il laissa passer Gelael Jr, qui s'offrit son premier succès en monoplace. Pour 2013, cap sur l'Europe : Double R les accueillit dans une British F3 en plein naufrage. Le trio avait conscience que ce n'était ni la bonne équipe, ni le bon championnat. Trevor Carlin était moyennement intéressé par Antonio Giovinazzi et pas du tout par Sean Gelael. La famille Gelael sut agiter des arguments sonnants et trébuchants : financer une écurie bis, en F3 Européenne, Jagoya Ayam ! Si "Gio" put glaner quelques podiums, Gelael Jr arrivait tout juste à finir dans les points, les bons jours. Mais l'Indonésien rêvait de FR 3.5. Dick Gelael venait de décéder et Ricardo Gelael prit sa suite. Non seulement les Gelael financeraient la voiture de l'équipier de Sean en FR 3.5 (à savoir Tom Dillmann), mais en plus, ils financeraient trois voitures "Jagoya Ayam" en F3 ! A l'hiver 2014-2015, Sean Gelael et Tom Dillmann partirent en tournée promotionnelle en Indonésie. Les visuels étaient ceux de l'an dernier et l'Alsacien de poser devant des effigies d'Antonio Giovinazzi !
A partir de là, l'Italien prit son envol. Vice-champion de GP2 2016, il refusa un volant en DTM, avant d'être recruté par la Scuderia Ferrari. Hélas, il fut lamentable en F1. Sean Gelael, lui, rêvait d'un baquet chez Toro Rosso, dont son père aurait été co-actionnaire. Hélas pour lui, en 2015, la FIA modifia les règles de la Superlicence, avec un barème de points. Il s'agissait de rendre indispensable le passage en GP2 et accessoirement d'écarter les pilotes "rapides comme Crésus". L'Indonésien eu beau s'y prendre à cinq reprises, impossible de grimper dans la hiérarchie du GP2/F2. En 2021, il abandonna ses rêves de monoplaces et se reconvertit en WEC. Il n'y eu donc pas d'écurie "Jagoya Ayam with Toro Rosso" !

Commentaires

Articles les plus consultés