Les camions US aux Philippines

Dans Manille, on peut croiser quelques vieux semi-remorques US. Mais dès que l'on s'aventure hors de la capitale Philippine, c'est un véritable défilé !

A San Carlos, j'ai même trouvé une entreprise de transports renfermant nombre de pièces de musée, mais qui circulent encore.
Un peu d'histoire, pour commencer.

En 1898, les Américains prirent les Philippines aux Espagnols. Ces derniers possédaient un port fortifié à Subic Bay. L'endroit étant choisi pour ses eaux profondes. En 1903, l'armée Américaine établi une seconde base. Elle fut renommée Clark Air Base en 1919, d'après Harold M. Clark, un pionnier de l'US Air Force.
Les deux bases connurent des hauts et des bas. Puis, en 1964, les Etats-Unis déclarèrent la guerre au Vietnam Nord. Le terme de "guerre du Vietnam" est inexacte, car des opérations furent menées au Cambodge, au Laos et en Thaïlande. Ces pays abritant soit des bases arrières des Việt Cộng, soit leurs alliés. Subic Bay et Clark Air Base servirent de relais entre les Etats-Unis et le Sud-est Asiatique. La première reçut des travaux pharaoniques. Dans les années 70, c'était la première installation portuaire ! 4,2 millions d'Américains transitèrent par Subic Bay. Les civils Philippins travaillant pour ces deux bases se regroupèrent dans des villages, qui devinrent des villes.
Or, pour décharger les bateaux, transporter le matériel, etc. L'armée Américaine s'équipa de milliers de camions. Une fois hors d'usage, l'armée les écoulaient localement. Le marché Philippins fut ainsi envahi de véhicules issus des surplus militaires US. Et comme il s'agissait d'engin de logistique, souvent tout-terrains, ils étaient idéaux pour ce pays aux nombreux villages perdus en pleine jungle.

Les habitués des ventes des Domaines savent que lorsqu'une armée revend un camion, il est souvent très, très fatigué. Néanmoins, avec pas mal de système D, les Philippins surent les remettre en marche.
Le cas extrême, c'est ce camion-citerne GMC CCKW. Le constructeur Américain en produisit de 1941 à 1945 et il rend toujours service, en 2020 !

Avec 92ch et 70km/h en pointe (en encore, ça, c'était en état neuf...), les trajets doivent être bien longs. Surtout lorsque ça grimpe...

Il a très probablement servi sur le front Pacifique. Ah, s'il pouvait parler...
Un Isuzu SKW des années 60, ex-armée Philippine. Les Philippines furent l'un des premiers pays où les Japonais exportèrent. Ils écoulèrent des voitures, mais aussi des camions, y compris des camions militaires.

Avec son V6 diesel 210ch, le SKW est aujourd'hui perçu comme poussif. Mais par rapport au GMC et autres Dodge, ça devait être le paradis, pour l'armée de Ferdinand Marcos !
Les Philippines possèdent plusieurs industries vivant plutôt bien, comme les raffineurs de canne à sucre. Assez bien pour s'offrir des camions neufs, malgré les surtaxes sur les importations.

Le choix logique, c'était un camion US. Matériel civil et militaire étant suffisamment proches pour que les pièces soient interchangeables. Néanmoins, les Japonais cassèrent les prix. Hino, Mitsubishi-Fuso, Nissan-Diesel et Isuzu se partagèrent le marché du PL. A l'instar de cet Isuzu Forward des années 70.
Tout ces camions étaient sur le site d'une société de transport et j'ai demandé la permission pour y pénétrer. Le vigile trouvait que je passais un peu trop de temps autour de ses camions. Il a fini par s'impatienter et j'ai du quitter les lieux. Tant pis pour les autres vieux utilitaires (un Hino, un autocar Fuji...) que je n'avais pas pu immortaliser.

Pas grave : dans une contre-allée proche, j'ai vu un autre trésor. A savoir une Willys Jeep CJ3B ou une M606, son dérivé militaire. Elle fut produite de 1953 à 1964. Notez l'habillage très artisanal, à l'arrière.
Bien sûr, cette M606 est issue d'un surplus militaire. Les deux bases US employaient quantité de Jeep.

En 1958, Kaiser-Jeep perdit l'appel d'offres au profit de la Ford M151 "Mutt". Elle fut très employée durant la guerre du Vietnam. Puis, lors de l'appel d'offre suivant, Kaiser-Jeep reprit la main, avec la M38A, dérivée de la CJ5.

Aux Philippines, j'ai croisé d'autres M606, ainsi que des M38A. En revanche, aucune M151 "Mutt". A-t-elle été boudée faute de pouvoir y reprendre les pièces des Jeep ?
On remarque surtout plein de Jeep avec un capot long.

Willys, Kaiser-Jeep, AMC... Jeep n'a eu de cesse de changer de main. Dans ce contexte, les assembleurs sous-licence (Mahindra, Mitsubishi, Keohwa -Ssangyong-...) se retrouvèrent livré à eux-mêmes. Ils commencèrent donc à modifier le véhicule de base.
Mahindra monta ainsi le train avant d'un utilitaire moyen et pour le moteur, il se fournit chez Peugeot ! L'ensemble étant trop imposant pour le compartiment-moteur de la CJ. D'où ce redesign à la diable, avec le tableau de bord débordant sur l'habitacle.

Les Philippines de Corazon Aquino ne voulaient plus entendre parler des Américains. Le pays se tourna vers de nouveaux partenaires, comme l'Inde. Felix Mabilog Jr, le lobbyiste de l'auto philippine, joua les intermédiaires de Mahindra.

Pendant ce temps, en Inde, Peugeot tenta de vendre une 309 équipée d'un moteur d'AX (produite chez Premier.) Ce fut un bide. PSA fit ses valises. Non seulement il coupa les ponts avec Premier, mais il abandonna Mahindra. Du coup, la production de l'Armada -ultime évolution de ces drôles de Jeep indiennes- fut stoppée. Et le constructeur de quitter les Philippines.
Faute de pièces détachées, les Philippins bricolèrent leurs voitures avec des éléments de Willys issues des surplus US.
La bondieuserie est typique des véhicules philippins de la vieille école.

Quant à "mot en N", il s'agit du nom de l'île. J'espère que Google ne va pas bannir mon blog à cause de ça...
Fin 1985, Ferdinand Marcos tenta un énième coup de force. Il organisa des élections express (pour ne pas laisser le temps à l'opposition de s'organiser), puis il bourra les urnes. Malgré tout, Corazon Aquino s'imposa. L'autocrate avait de sérieux problèmes de santé et c'est sans doute ce qui poussa l'armée et la bureaucratie Philippine à se ranger derrière la présidente.
Marcos avait siphonné les caisses de l'état et en plaçant ses incompétents "Rolex 12" à la tête des principales entreprises, il ruina l'industrie. C'est sans doute ce qui poussa Aquino à exiger des Américains un loyer annuel exorbitants pour leurs deux bases. Ça et l'envie de faire payer (au propre, comme au figuré) le soutien inconditionnel de Marcos par les yankees.
Les Américains jouèrent la montre. La guerre du Vietnam était finie, Pol Pot avait été chassé, le Sud-est Asiatique était dans une relative stabilisation, la Chine rentrait dans le rang et bientôt l'URSS s'effondrait. La menace communiste s'estompait, le centre de gravité de l'instabilité s'était déplacé vers le Moyen-Orient. Subic Bay et Clark Air Base perdaient de leur intérêt stratégique.
En 1991, le mont Pinatubo entra en éruption et les deux bases furent ensevelies. Les Américains dégagèrent Subic Bay, mais ils laissèrent Clark Air Base à l'abandon. L'année suivante, les recours juridiques étaient épuisés et les Américains vidèrent les lieux plutôt que de payer.

Les deux sites furent laissés un temps à l'abandon. Puis chacun fut converti en circuit. Le Subic International Raceway ferma en 2010. Mais d'après Google, la piste est toujours là. Le Clark International Speedway a accueilli une unique manche de F4 SEA. C'est davantage une piste d'essai.
Tout ceci explique pourquoi les véhicules des surplus datent essentiellement des années 70 et 80. Depuis peu, face à l’expansionnisme Chinois, les Américains se sont réinstallés à Clark Air Base (mais dans un périmètre bien plus mesuré qu'avant.) Va-t-on bientôt revoir des camions issus des surplus ?

En tout cas, en matière de recyclage, les Philippins n'ont de leçons à recevoir de personne !

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