Dealerships : p'tit Louis


Louis Meznarie... J'étais ado lorsque j'ai lu l'article sur lui, dans Rétroviseur. Chaque mois, Jean Bernardet évoquait une personne un peu oubliée (pilote, préparateur, ingénieur...) Cette chronique là m'avait plus marqué que les autres. Peut-être parce qu'elle parlait de NSU, une marque rarement évoquée. Peut-être aussi à cause de l'orthographe de son nom : comme moi, Meznarie possède une lettre inhabituelle, en plein milieu de son patronyme...

Je situais son garage au fin fond du Centre. Sur Facebook, j'ai découvert que le garage Meznarie, bien qu'ayant changé de décoration, est toujours là. Et qu'il est situé dans l’Essonne.
Jeudi soir, j'apprenais que "p'tit Louis" avait rejoint le paradis des préparateurs. Je me devais de faire le pèlerinage au garage Meznarie !
En croisant les données, j'ai pu trouver son adresse exacte. Un lieu au bord de la Nationale 7. J'étais passé plusieurs fois tout près. J'ai même eu un entretien professionnel à 500 mètres de là !

La bonne surprise, c'est que Next Auto a conservé la décoration originelle d'un des murs.

Assez parlé de moi.

Louis Meznarie était né en 1930. Ses parents étaient originaires de ce qui deviendra la Croatie. Il se passionna très vite pour les 2-roues. A 15 ans, il s'offrit sa première mob' : une NSU... Il décrocha son premier emploi comme ouvrier chez Mandille et Roux, un éphémère fabricant de cyclomoteurs. MR n'a jamais été très florissant. Il quitta la société vers 1950 et effectua son service militaire.
Ensuite, il se lança dans le motocross et le trial naissants. Il était pilote/préparateur (moteur et cadre.) C'est de cette époque qu'il a gardé l'habitude de faire beaucoup, en peu de temps et avec peu de moyens. Le monde de la compétition 2-roues était petit et le voilà trainant avec Georges Houel, Jean Behra, Georges Monneret, Remy Julienne... En parallèle, il ouvrit un garage moto à Corbeil-Essonnes.

En 1958, alors qu'il essayait la moto d'un client, il fit une mauvaise chute. Terminée, la compétition moto.
Durant sa convalescence, "p'tit Louis" prit du recul sur son activité professionnelle. Cette année-là, la France imposait un permis de conduire au-delà de 50cm3. Des milliers de motards préféraient vendre leur moto que de passer le permis. Le marché du neuf était quasi nul et beaucoup de constructeurs ne s'en remirent pas. Un an plus tôt, NSU avait lancé la Prinz, sa première voiture de l'après-guerre. Le constructeur s'apprêtait à quitter la moto.
Fort de ces constats, Louis Meznarie devint agent NSU (auto.) Il déménagea dans un garage plus grand, au Coudray-Monceau. Pourquoi là ? C'était alors le terminus du premier tronçon de l'autoroute A6. Les automobilistes roulaient pied au plancher et les voitures ne le supportaient pas. Cela faisait autant de clients potentiels, sur la ligne d'arrivée...

NSU découvrait l'automobile et l'étranger. Meznarie était l'un de ses rares points d'attaches hors d'Allemagne. Lorsque l'équipe souhaita aligner des Prinz en rallye, elle demanda à Meznarie d'assurer la maintenance, avec à la clef des victoires de catégorie au Tour de Corse et au Monte-Carlo. Notez qu'il embaucha José Behra (le frère de Jean) comme pilote.

En 1964, nouveau tournant : NSU lui confiait l'intégralité de l'engagement sportif de la marque, en France. Louis Meznarie fit rouler Marie-Claude Beaumont, Guy Chasseuil, Bernard Darniche et un débutant, Gérard Larrousse... En parallèle, les NSU devenaient de plus en plus méchantes : Prinz 4, 1000 TT, TTS... Les NSU pouvaient viser le scratch. Chasseuil devint vice-champion de France 1966. On commençait à parler de plus en plus de ce "sorcier", capable de faire des miracles avec un budget ridicule et une demi-douzaine de mécanos.
En 1968, Maurice Emile Pezous trouvait que ses monoplaces MEP à moteur Panhard étaient en bout de développement. Panhard avait été racheté par Citroën, qui avait passé des accords avec NSU. Partant de cette logique, Pezous songea à une MEP à moteur de TTS. Et bien sûr, il se tourna vers Meznarie pour la préparation compétition. Deux MEP TTS furent réalisées, puis Citroën donna un coup d'arrêt au projet. Au même moment, Volkswagen rachetait NSU avec l'objectif de faire de Neckarsulm une simple unité de fabrication de Coccinelle.

Meznarie avait compris qu'il lui fallait de nouveau changer de cap. Gérard Larrousse, passé chez Porsche, mit son ex-patron en contact avec son nouvel employeur.
C'est sur circuit que la première 911 "made in Meznarie" couru, avec Larrousse au volant, bien sûr (1.) L'année suivante, l'ambitieux Mike Keyser, lui confia la préparation de sa 911 2.5S/T "Toad Hall Racing", en vue des 24 heures du Mans (ci-dessous.) Le préparateur retourna au Mans en 1974, avec une 911 Carrera RSR pour Hubert Striebig and Hughes Kirschhoffer. Puis, en 1976, il y aligna une 935 pour le duo, accompagné d'Anne-Charlote Verney. Il s'est également occupé de la 911 Carrera RSR de Thierry Sabine. Le futur organisateur du Dakar disputant avec les 24 heures du Mans et remportant le championnat de France circuit.
A la fin des années 70, Porsche revint au rallye avec la SC. Meznarie alignait ses propres voitures et en louait pour d'autres. Bernard Béguin remporta le championnat de France 1979 et termina vice-champion d'Europe 1980. Notez que les principales rivales des 911 SC Meznarie étaient les 911 SC des frères Alméras !

C'était l'apogée de Louis Meznarie. Porsche était généreux. Pour le Monte-Carlo, il avait sa suite dans un palace. Pourtant, il continuait de mettre les mains dans le cambouis. Même au Mans, il participait au démontage, derrière les stands, dans la terre battue.
Le début des années 80 fut difficile pour Meznarie. Béguin termina vice-champion de France des rallyes 1982, tandis que Michel Teilhol remportant le championnat de France division 2. Mais ensuite, les Groupe B débarquèrent. Seuls des Porschistes purs et durs, comme Raymond Touroul ou José Barbara s'accrochaient. Surtout, les seuls constructeurs de groupe B vendant aux privés (Lancia et Renault) avaient déjà une kyrielle de préparateurs attitrés.
A partir de 1984, les GT étaient chassées du Mans. De toute façon, Porsche délaissait la 911 et le rallye. En circuit, il se concentrait sur la 956. Il y eu bien une 911 SC 4x4 au Dakar, mais c'était pour mieux préparer le terrain de la 959. Surtout, elle n'était pas proposée aux privées (les 911 Foltène vues plus tard étaient les anciennes "Martin avec un i" repeintes...)

Une nouvelle fois, Louis Meznarie était face à une impasse. Cette fois, il manquait de moyens pour rebondir. Et à 54 ans, avait-il l'énergie de se jeter dans un nouveau challenge ? Peut-être se sentait-il mal à l'aise, dans ce monde du sport auto où il y avait de plus en plus de com'... Qui plus est, l'A6 était enfin achevée et son garage se retrouvait désormais sur un itinéraire bis.

Meznarie se reconverti dans la restauration d'anciennes, comme la 911 Alméras ex-Johnny Halliday de la vente Aguttes. Je soupçonne d'ailleurs que l'article dans Rétroviseur était un moyen de se faire de la pub gratuitement...
Au tournant du siècle, il prit sa retraite, laissant le garage Meznarie livré aux éléments. Curieusement, il n'était pas évoqué dans le hors-série d'Auto-Rétro consacré à la Nationale 7.
Louis Meznarie, lui, continuait de faire la tournée des concentrations d'anciennes, jusqu'à récement. Il  s'est donc éteint à 90 ans.

Alors que je me rendais au garage, pour faire les photos, j'ai vu cette 911S orange, débouler. Elle resta quelques temps à ma hauteur, avant de filer au loin.
Sans doute quelqu'un déverminant son joujou après restauration. A moins que ce ne soit Louis Meznarie, au courant de mes intentions, qui me fit coucou...
(1) J'ai un doute sur la 911S de Gérard Larrousse, au Tour Auto 1970. Elle possède une décoration psychédélique très "Meznarie". En revanche, son nom n'apparait pas sur la carrosserie et surtout, il n'en parle pas dans sa biographie.

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