40. Ballot 5/8 LC Indianapolis

En tant que fan de l'... Que dis-je... En tant qu'expert Français de l'Indycar, je me devais de poser avec cette Ballot 5/8 LC Indianapolis. Elle avait décroché la pole position avec René Thomas à son bord.
Comme Bentley, Citroën ou Voisin, Ballot fête cette année son centenaire. Le Chantilly Arts & Elegance 2019 lui rendait hommage avec un alignement de voitures.

Son histoire est similaire aux trois autres : ses fondateurs, Maurice et Etienne Ballot, ont accumulé un capital important durant la Première Guerre Mondiale (en construisant des moteurs pour le militaire terrestre, l'aéronautique et le maritime.) Ils cherchaient à se retourner en vue de l'armistice et ils choisirent l'automobile.
Pour se faire connaitre, Ballot a d'abord couru aux 500 Miles d'Indianapolis (la première grande épreuve organisée après-guerre), puis en Grand Prix. Fort de ce pédigrée, Ballot passa aux voitures de tourisme, en 1921.
Malgré tout, Ballot eu du mal à s'imposer dans un marché du luxe, où des acteurs comme Bugatti, Hispano-Suiza ou Voisin dominaient. En 1931, elle fut racheté par Hispano-Suiza, qui abandonna le nom en 1936.
Un mot sur René Thomas, le pilote. C'était un sportsman du début du XXe siècle, intrépide. Carrossier de formation, il se lançait dans l'automobile en 1905. Puis il passa au cyclisme. C'était le temps des marathonien, chargés comme des mules, qui roulaient plusieurs d'affilée sans cligner des yeux. En 1910, il passa à l'aviation.
Notez d'ailleurs que Jules Goux (vainqueur des 500 Miles d'Indianapolis 1913), Georges Boillot (vainqueur du Grand Prix de France 1912) et Eddie Rickenbacker (pilote d'avant-guerre et propriétaire d'Indianapolis de 1927 à 1941) furent également des aviateurs.
Blessé durant un meeting, en 1911 (ce fut d'ailleurs la première collision aérienne), il retourna aux voitures. Vainqueur des 500 Miles d'Indianapolis 1914 (sur Delage), il y retourna après la guerre et décrocha donc la pole (sur Ballot, donc.) Dans les années 20, il glissa progressivement de l'autre côté du muret, en devenant directeur de course (on dirait team-manager, aujourd'hui) chez Delage. Puis il travailla chez Jaeger, avant de se consacrer à l'horticulture (!) Il fut néanmoins plusieurs apparitions sur circuits, notamment une ultime visite d'Indianapolis, en 1973, peu avant sa mort.
Et donc, désormais, René Thomas est l'avant-dernier poleman Français des 500 Miles d'Indianapolis. Car 100 ans après, Simon Pagenaud décrocha la pole "d'Indy". Le Français s'imposa également. Exit la polémique sur le dernier vainqueur tricolore (Gaston Chevrolet, vainqueur en 1920, était-il Français ?)

Ce qui est dommage avec Pagenaud, c'est qu'il a toujours eu une carrière en dent de scie. Vice-champion de la Formule Campus 2001, puis 3e du championnat de France de Formule Renault 2002 et vice-champion de l'Eurocup 2004 (après avoir été 3e en 2003), il fit une saison oubliable en FR 3.5.
A l'époque, Sébastien Bourdais triomphait en Champ Car, de quoi susciter des vocations. La Formule Atlantic offrait une bourse en Champ Car au vainqueur et plusieurs Français tentèrent leur chance. Pagenaud fut le plus pugnace et il remporta le titre en 2006. Son équipe, Walker, l'accompagna en Champ Car (aux côtés d'un certain Will Power...) La saison fut mi-figue, mi-raisin, avec une 8e place finale.
Pour 2008, il devait piloter à mi-temps chez Conquest, mais la fusion Champ Car-Indycar bouscula ses plans. Il se reconverti en ALMS, avec De Ferran, avec Acura, tout en effectuant des piges avec la Peugeot 908.
En 2011, Dreyer & Reinbold lui proposa un remplacement au pied-levé, à Barber Park, où il termina 8e. Il fit d'autres sorties à Mid-Ohio, puis à Sonoma (avec HWM.) C'était des piges mal ficelées, sur des monoplaces de seconde zones, mais son envie de revenir était plus forte que tout. Honda le prit sous son aile et l'envoya faire une course de FF 1600 (afin de promouvoir la F1600 à moteur Honda.) En récompense, le motoriste participa au tour de table d'un baquet 2012 chez Sam Schmidt. Là encore, c'était une monoplace de seconde zone, mais il décrocha trois podiums (Sam Schmidt n'était plus monté sur le podium depuis 2001 !) En 2013, il remporta ses deux premières victoires et termina 3e (et meilleur représentant de Honda.) Alors que Penske lui faisait les yeux doux, Honda le conserva, avec des arguments sonnants et trébuchants... Deux autres victoires, mais une 5e place finale. Le Français avait conscience d'avoir atteint un plafond de verre.
Il signa chez Penske. La saison 2015 fut compliqué. En 2016, il changea d'ingénieur, décrocha 5 victoires et remporta un titre mérité. 2017 commença par une victoire, puis il enchaina les contre-performances, pour se rattraper en fin de saison, obtenir une seconde victoire et terminer 2e.
Puis il y eu 2018, là, non seulement il était lent, mais il avait une sérieuse tendance à zigzaguer en ligne droite lorsqu'un adversaire tentait de le doubler...
Il rempila chez Penske car Alexander Rossi et Scott Dixon avaient des contrats en béton. Lors du Grand Prix d'Indianapolis, j'ai été époustouflé. Dans les ultimes tours, il remonta Scott Dixon, pourtant à 10". Certes, le Kiwi roulait sur les jantes, mais quand même... Et puis il y eu les 500 Miles, là encore, il émergea en toute fin de course, doublant et contenant Takuma Sato et Rossi ! Du grand art. Hélas, le reste de la saison, c'est l'homme invisible.

Pagenaud est très fort, mais pour devenir un Scott Dixon, il manque de constance et de polyvalence.
Pagenaud a 35 ans, Sébastien Bourdais a 40 ans. Ils ne vont pas poursuivre éternellement. Le souci, c'est que l'échelle est cassée. En Indy Lights, Julien Falchero a du renoncer après quelques manches et en US F2000, le vétéran Alex Baron multiplie les pannes de cerveau. De Florian Latorre, à Timothé Buret, en passant par Nico Jamin, il y en a eu, des Français qui auraient mérité une place en Indycar.
Tristan Vautier a saboté ses chances. La leçon de Simon Pagenaud, c'est qu'il faut savoir prendre sur soit et se donner à 200% lorsqu'on vous offre une opportunité...

Les pilotes Européens qui débarquent en Indycar sont souvent des exclus de la F2, voire de la F1 (Max Chilton, Alexander Rossi, Marcus Ericsson, René Binder, Jordan King...) Or, l'Indycar est un environnement très spécifique. Il faut avoir l'humilité de tout reprendre à zéro. C'est pour ça que Rossi et Ericsson marchent, alors que les autres se sont plantés.
Les circuits d'Indycar ne sont pas des tracés de F1 (exception faites du COTA.) Il y a des tracés urbains très lents, où il faut avant tout gérer la consommation et les pneus pour "doubler" dans les stands (heureusement, il n'y a plus que Long Beach, Toronto et Detroit Belle-Isle dans cette catégorie.) C'est des circuits très rapides (Road America, Laguna Seca...), à l'ancienne, avec des dénivelés et des gros freinages. Enfin, il y a les Speedways, où la stratégie est primordiale, avec la "respiration" de la course. Le tout avec davantage de contacts et de mauvais coups qu'en F1.
Bourdais, Pagenaud, Power, Dixon ou Rossi ont tous tâté de l'endurance et ce n'est pas un hasard. Les 500 Miles d'Indianapolis, c'est presque un double-relais au Mans ! Lors de son retour en Indycar, Bourdais a enchainé les manches de Grand-Am.
Et puis, il y a les supporters... Pas question de s'enfermer dans un motorhome jusqu'à H-5 minutes ! Le public n'est pas parqué derrière trois grillages ! En Indycar, il faut se confronter au public et parfois, ce n'est pas facile. Il n'y a pas non plus de commentateurs "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". A Indianapolis, Fernando Alonso s'est d'abord fait éliminer par le paddock, avant d'être éliminé en piste.
Je pense donc qu'un Thomas Laurent ou un Gabriel Aubry auraient davantage de chances de briller en Indycar qu'Esteban Ocon, par exemple. Dorian Boccolacci a la vista et le panache, lui, il pourrait y aller.

Le jeune Français qui voudrait faire de l'Indycar. Moi, je l'alignerais d'abord à une épreuve de sprint cars. Comme ça, il descendra de son nuage ! Ensuite, je l'amènerais aux 24 heures de Daytona ou aux 12 heures de Sebring (où l'essentiel du peloton d'Indycar court chaque hiver.) La suite, ce sera de l'IMSA (pour apprendre le circuit) avec quelques sorties en Indy Lights (pour côtoyer le paddock d'Indycar.) Et là, seulement, si ça marche, il serait près pour l'Indycar...

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