Croisière vers l'ouest

Il y a une semaine, le CCFA avait réuni quatre autochenilles Citroën devant l'ACF, à Paris. Dans le cadre bien sûr du centenaire de la marque aux chevrons.

Je me serais déplacé pour voir une autochenille, alors quatre...
Citroën P4 (moteur B2) "Croisière Blanche" 1922
A l'origine des autochenilles, il y a Adolphe Kégresse. Ce mécanicien Français avait conçu son système pour les voitures du tsar. De retour en France après la révolution Russe, il rencontra André Citroën. Le fondateur de la marque éponyme cherchait de quoi marquer les esprits. Le général Estienne voulait conquérir le Sahara par les airs. Mais au début des années 20, il n'était pas encore question de le faire d'un coup d'ailes. Il proposa à Citroën de créer des autochenilles qui appuieraient les avions, en créant des points de ravitaillement. Le projet de traversée par les airs fit long feu, mais Citroën poursuivit son idée de franchir le Sahara par la route.
Restait à trouver des Hommes pour cette expédition. Citroën connaissait Georges-Marie Haardt depuis l'époque où ils étaient chez Mors. Ses qualités de meneur d'hommes et de chef de projet étaient établies. Ce fut l'aviateur Louis Audouin-Dubreuil.

Quelques années après avoir lu ses exploits, je suis allée en Tunisie. Dans un éco-musée, au fin fond de la campagne, j'ai croisé une B2. J'ai alors imaginé Audouin-Dubreuil, le fils de négociant en cognac, qui avait grandi en se passionnant pour René Caillet. Il se voyait en aventurier et on lui demandait de sillonner la Tunisie pour repérer des terrains d'aérodromes... En voyant ces décors arides, on comprend pourquoi il s'y ennuyait, un an plus tôt... Il rejoignit donc Audouin-Dubreuil et Citroën, pour participer à la Croisière Blanche.

Notez qu'il s'agit de l'autochenille vue au Citroën Born Paris XV et non celle, plus défraichie (et d'une mauvaise teinte) exposée à Rétromobile.
Citroën P4 (moteur B2 ?) "civile"
Vue de face, cette B2 semble être une pimpante voiture des années 20. Mais lorsqu'on se tourne, on découvre ses chenilles sur l'essieu arrière...

Les autochenilles Citroën, ce n'était pas que les "Croisière". Au total, 10 000 véhicules furent assemblés (en comptant les Unic, sur lesquelles on reviendra.) Les autochenilles étaient destinées à l'armée. Les Armées Allemandes et Polonaises en commandèrent. Sans oublier les administrations coloniales. Il y eu aussi des "Croisières" privées, organisées sans le soutien de Citroën. La plus célèbre étant la Croisière Bedaux.

Il y aurait donc eu aussi des autochenilles vendues à des particuliers...

Notez la "queue de cochon" à l'arrière, pour se sortir des mauvais pas...
Citroën P17 (à moteur C6) "Croisière Jaune" 1931
Pour moi, LA "croisière", ce fut la Croisière Jaune. Une expédition de Beyrouth à Pékin. Lorsque je suis arrivé à Aksu (par le sud), je m'imaginais Audouin-Dubreuil et Haardt arrivant là (par l'ouest.) La Chine, enfin, après des mois de traversées, à un rythme de tortue, sur les hauts plateaux d'Asie Centrale. Ca aurait été plus facile par l'actuel Kazakhstan, mais l'URSS avait fermé sa frontière peu avant...

La Croisière Jaune fut l'ultime Croisière Citroën. La plus belle, la plus longue, la plus difficile et la plus tragique, aussi. Audouin-Dubreuil mourut, terrassé par la maladie. Le retour (un périple partant de l'Indochine jusqu'à Beyrouth via l'Inde) fut transformé en démonstration dans l'actuel Vietnam.

20 ans après, les anciens se retrouvèrent pour un dîner dans l'actuel Musée de l'immigration.

Notez que cette P17 n'est pas celle qui fut exposée au Mondial 2018, lors de l'exposition Routes Mythiques.
Citroën P19
Encore une fois, l'histoire des autochenilles ne s'arrêta pas avec la Croisière Jaune. En 1932, les capitaux de Citroën étaient mobilisés par la Traction Avant. Accessoirement, avec les Rosalie de records (commanditées par Yacco), la firme aux chevrons recevait de la publicité presque gratuite !
La carrière des autochenilles devint alors militaire.

Lorsque Citroën fut racheté par Michelin, qui ne voulait pas des autochenilles. Adolphe Kégresse parti chez Unic, où la production reprit. Puis il y eu la P107, basée sur un camion Unic. En parallèle, Somua produisit des autochenilles reprenant le brevet Kégresse. L'Unic TU1 (1939) n'a plus grand chose des autochenilles Citroën et il ne figure pas dans l'arbre généalogique. Pourtant, il semblait être une évolution de la P107.
En juin 1940, avec l'armistice, la production des P107 est arrêtée (mais la production des TU1 se poursuivit.) Un mois plus tard, l'armée Américaine lançait l'appel d'offres de ce qui allait devenir la Jeep. La Jeep ouvrait l'ère de la transmission intégrale, plus efficace et plus rapide. Les half-track Américains possédaient des chenilles souples inspirées de Kégresse, mais c'était un baroud d'honneur.
Kégresse mourut en 1943 après avoir conçu un drone terrestre avant l'heure. Difficile de voir la praenté entre le Nerva et les autochenilles et pourtant... Pendant ce temps, l'armée nazie confisqua des autochenilles P19 et P107. Certaines se perdirent sur le front Russe, où les troupes Soviétiques les capturèrent. Un drôle de retour aux sources, pour les créations de l'ex-mécanicien du tsar...
Michel Chevalet
Michel Chevalet s'apprêtait à faire un direct pour CNews. Le célèbre journaliste et animateur est un de ces "experts" tout-terrain dont les chaines d'infos en continue raffolent. Je n'ai rien contre lui, c'est plutôt contre le système.
On imaginerait pas un ancien joueur de foot commenter le tennis ou le Tour de France. Pourtant, Michel Chevalet (et son alter-ego de BFM TV, Gérard Feldzer) doivent réagir aussi bien sur le salon du Bourget, l'incendie de Notre-Dame ou l'effondrement du pont de Gènes ! Les chaines d'infos en continue veulent des "experts" qui soient disponible au pied-levé. Et en cas d'évènements importants, il faut meubler et cela vire vite au n'importe quoi...

Plus généralement, les médias veulent des gens capables d'incarner une cause, une innovation ou une problématique. Leur photogénie prime sur leur expertise. On joue sur les mots pour masquer le vide sidéral de leurs connaissances théoriques. On joue également sur les termes pour faire passer une publication pour un travail sérieux.
Face à ses contradicteurs, Eric Zemmour reconnait du bout des lèvres que non, il n'est pas historien. Mais Greta Thunberg se montre véhémente à l'égard de ceux qui remettent en cause sa légitimité.
La recherche scientifique, c'est un sujet sérieux. Le premier point, c'est qu'un vrai chercheur exposera volontiers ses titres, ses diplômes, le labo où il travaille et ses publications. Car tout ne se vaut pas dans la science. Il y a des sciences plus rigoureuses, des universités mieux dotées et des publications plus réputées. A contrario, les personnes qui s'hérissent lorsque l'on demande à voir leur CV, c'est mauvais signe...
Une publication scientifique doit contenir une définition du sujet, un état de l'art et être abondamment annotée. Le travail du chercheur est subjectif. On doit donc pouvoir tracer son cheminement. Dans les sciences dures, toute expérience doit pouvoir être reproduite, avant que les résultats ne soient validés.
La science n'a pas de certitudes. Les conservateurs américains se gaussent de l'expression "théorie de l'évolution". Mais c'est une théorie, car même si le mécanisme global est compris, il reste des inconnues. Mais c'est un travail en cours. En 2004, dans Homo sapiens, Yves Coppens disait qu'homo sapiens et l'homme de Cro-Magnon étaient trop différents pour qu'il y ait eu des métissages. Depuis, les travaux ont prouvé que non-seulement homo sapiens et Cro-magnon se sont mélangés, mais qu'homo sapiens a également eu des rapports avec d'autres hominidés primitifs. La vérité scientifique évolue ; rien n'est gravé dans le marbre pour l'éternité !

Il faut donc en arrêter avec ce syndrome de la blouse blanche... Comme le dit l'affiche derrière le chroniqueur : restez vigilant !
D'autres Citroën
Outre les quatre autochenilles, il y avait trois Citroën anciennes.

Voici un Type B (B10 ?)

Elle m'a fait penser aux C4 de La cloche tibétaine. Cette série fut diffusée en 1974 sur ce qui était alors la première chaine. La cloche tibétaine s'inspire librement de la Croisière Jaune. Déjà, l'expédition ne passait pas par le Tibet, ce qui commence mal...
C'était une série-TV des années 70, tournées en plan fixes, en studio, avec des acteurs très fixes. Gros budget perruques et maquillage. Mais petit budget pour le casting : même les rôles de Chinois et d'Afghans sont tenus par de blancs Français ! Philippe Léotard crevait l'écran en aventurier polyglotte, tandis que Coluche -alors débutant- avait un petit rôle.
Les extérieurs furent tournés dans les Alpes. Faute de vraies autochenilles, ils ont bricolés des C4. En 1974, ce n'étaient que de vieux tacots ; on n'hésitaient pas à en sacrifier quelques unes. D'où des autochenilles trop longues et équipées de chenilles pas du tout réalistes... Certaines apparaissent régulièrement dans les concentrations ou dans les petites annonces.

Pour ceux qui seraient découragés face aux pavetons d'Ariane Audouin-Dubreuil, je recommande cette série.
Décidément, il y a souvent des DS, place de la Concorde ! Celle-ci n'est pas n'importe quelle DS, mais une DS23 Lorraine par Chapron. "Lorraine" car elle s'inspirait de la DS présidentielle de Charles de Gaulle. Elle en reprenait l'arrière tricorps.

Vingt exemplaires furent produits de 1969 à 1975. C'était un peu l'ultime DS de luxe, avant l'ère de la SM, puis de la CX...
Post-scriptum
Les autochenilles montèrent et redescendirent les Champs-Elysées, avant d'être transportées près de La Ferté Vidame, par camion. A une quinzaine de kilomètres du but, elles furent descendues et elles arrièvèrent par la route au grand raout de Citroën.

La Ferté Vidam, c'est le centre d'essai mythique de Citroën. C'est là que des journalistes de l'Auto-journal surprirent la DS. C'est là aussi que l'on découvrit quelques unes des 2cv de pré-série de 1939.

Seulement voilà, ces derniers mois, du Citroën, j'en ai soupé ! J'ai assisté à des évènements, j'ai lu des hors-série, j'ai testé des Citroën et j'en ai même acheté en miniature ! N'étant pas un grand, grand fan de Citroën, je commençais sérieusement à saturer. Alors tant pis pour La Ferté Vidam ; j'ai besoin d'une cure de décitroënisation !

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