Pour changer des histoires de camions français en Asie, voici un camion français en Afrique ! En l'occurrence, un Unic 190 AW U, victorieux de la TransAfrica, reproduit par Solido.
Le Solido pré-2008 était surtout connu pour ses miniatures "L'age d'or", reproduisant les voitures des années 30 et 50. Néanmoins, son catalogue était très vaste. Il y avait les "Hi-fi 43" censées représenter des voitures plus modernes, des bus, des hélicoptères, des véhicules militaires... Et des camions. La collection Toner Gam, lancée au début des années 60, était surtout centrée sur les camions de pompier.
Les véhicules de Toner Gam avaient davantage une vocation de jouets pour enfants. Surtout, Solido réfléchissait en taille fixe et non en échelle fixe. Les fourgons étaient aux 1/43e, les utilitaires moyens, au 1/50e et ici, on descend au 1/60e.
Solido étant partenaire de l'opération, il s'est attelé à reproduire fidèlement l'aspect de cet Unic de la TransAfrica. Par contre, il n'y a aucun ouvrant et il manque de détails (comme les phares simplement moulés dans le bouclier.) La caisse est monocolore, ce qui était fréquent à l'époque.
Il fut édité dans le cadre d'un coffret Aseptogyl Esso, puis intégré à la gamme... Avant de finir dans la gamme Toner Gam I, peint un rouge pour jouer les camions de pompier !
Cette miniature a attisé ma curiosité.
"Aseptogyl" sur un camion ? Transafrica ? Dès que je l'ai eu en main, j'ai fait chauffer Google !
Aseptogyl, c'était une marque de dentifrice. Dentiste et pilote de rallye à ses heures, Bob Neyret avait créé sa marque, à La Mure, au milieu des années 60. Le marketing et la communication en étaient à leurs balbutiements. L'heure était aux instinctifs, comme Bob Neyret. Il eu l'idée d'une équipe de rallye, aux équipages exclusivement féminins. Les pilotes étaient recrutées pour leur aspect photogénique, plus que pour leur talent. Car le but, c'était que l'on parle d'Aseptogyl et que derrière, il vende du dentifrice. Le "Team Aseptogyl" fut célèbre pour ses Alpine A110.
Aux 1000 Alpine, j'avais croisé une A310 Aseptogyl. Puis Bob Neyret revendit la marque à Henkel et ce fut la fin de l'équipe.
Mais quel rapport avec un Iveco ? Aseptogyl, c'était du glamour ! On imaginerait mal les starlettes de M. Dentifrice en train dégager un camion d'une ornière boueuse, en pleine jungle... Et puis, il est daté de 1980. Aseptogyl avait-il changé de mains ? Les nouveaux propriétaires souhaitaient-ils s'adapter à la mode
Gamelle Trophy ?
Il y a bien longtemps, j'étais tombé sur une vidéo d'Iveco au Zaïre. De mémoire, elle se terminait par une traversée de l'Afrique Australe. Voilà qui collerait avec ce ronflant "TransAfrica". Mais pourquoi le camion possède-t-il un numéro de course et des sponsors ?
Ce fut un travail de recherche, plein de fausses pistes. Car à 99% "Aseptogyl" ne renvoyait que vers des pages pleines d'A110 rose. Quant à "Aseptogyl Iveco", cela m'aiguillait vers d'autres vendeurs de jouets Solido ! En tout cas, si vous voulez le même, il est très largement disponible. En boite ou pas.
La vidéo d'Iveco était une fausse piste. Mais c'était le bon camion : un PAC, un camion de chantier à capot long. La miniature porte un badge "Iveco", alors que les trois Aseptogyl étaient badgés Unic.
Retour au milieu des années 70. Magirus-Deutz voyait le sol s'effondrer sous ses pieds. D'une part, le secteur Allemand des poids-lourd avait connu une consolidation express, avec la fusion Hanomag-Henschel (1969) et son sauvetage par Mercedes-Benz (1971), tandis que MAN gobait Büssing (1971.) Magirus-Deutz faisait figure de Petit Poucet parmi ces géants. Deuxième mauvaise nouvelle, la RFA songeait à des normes antipollutions. Les moteurs refroidis par air étaient dans la ligne de mire. Enfin, la CEE réglementait la longueur maximale d'un camion, tracteur et remorque inclus. De quoi désavantager les camions à capots longs. Et bien sûr, Magirus-Deutz était le spécialiste des camions à capots longs et moteurs refroidis par air... En 1972, le constructeur allemand s'associait à Renault, Daf et Volvo pour concevoir une cabine commune. Mais la cabine "Club des quatre" n'arriva qu'à la fin de la décennie.
Fiat lorgnait sur Magirus-Deutz. Malgré ses difficultés, le constructeur représentait une porte d'entrée vers l'Europe du Nord. Fiat V.I. ayant alors l'habitude de s'appuyer sur des marques locales. En 1974, Fiat racheta ainsi Magirus-Deutz. La gamme fut renommée et elle reçut l'ajout de moteurs Fiat. Qui plus est, le PAC traversa le Rhin, pour compléter le gamme Unic.
Le véhicule Solido est ainsi un Unic 190 AW U. Autrement dit, un 4x4 19 tonnes équipés du 6l Fiat.
Mais Unic n'allait guère mieux que Magirus-Deutz. Avec le rachat de Berliet par Renault (1975), il se retrouvait très isolé.
Les tracteurs Socema n'ont jamais décollé et Unic avait été exclu d'un appel d'offres pour des camions militaires. L'état Français avait également manœuvré pour empêcher Fiat de racheter Citroën, via
Pardevi. Nul doute que tout cela pesait dans le passif d'Unic.
Sachant qu'en Italie, OM et Lancia VI connaissaient des difficultés similaires, Fiat opta pour la table-rase. Les normes Européennes étaient contraignantes, mais désormais les règles (nombre d'essieux, poids maximum, etc.) sont harmonisées. Il était à peu près possible de vendre un même camion à travers toute la CEE. En 1975, Fiat VI, Lancia VI, Magirus-Deutz et OM furent regroupés au sein d'Iveco (International VEhicle COrporation.) Dans un premier temps, le logo Iveco n'apparaissait qu'en petit, aux côtés de l'ancienne marque.
Le premier Paris-Dakar a eu son lot de critiques. Notamment que c'était un raid conçu par un motard et que les motos y était avantagées.
Le Paris-Dakar de Thierry Sabine avait tué l'Abidjan-Nice de Jean-Claude Bertrand. Ce dernier vint avec un nouveau projet pour 1979-1980 : la Transafrica. Il s'agissait d'un projet franco-italien. 5-5 (Métal 5) et Echappement étaient partenaires du groupe "France". Quattroruote (L'Auto-Journal transalpin) du groupe "Italie".
Le 23 décembre 1979, les "Français" partaient d'Aix-en-Provence pour le prologue. Il traversait la Méditerranée, direction Alger. Là, avec une semaine d'avance sur le deuxième Paris-Dakar, il traversait le Sahara : Salah, Reggane et Gao. Pendant ce temps, les "Italiens" s'offraient un prologue à San Remo, avant d'embarquer pour Abidjan. Puis ils passaient à travers la Haute-Volta (l'actuel Burkina Faso), puis le Niger. A Gao, là où le Dakar filait plein ouest, la Transafrica "française" filait vers Niamey, à la rencontre des "Italiens". Là, les deux groupes partaient vers Agades pour une pause, avant de remonter sur Tripoli. Puis c'est Tunis, avec le retour à San Rémo et l'arrivée à Aix-en-Provence.
Côté "français", on note une équipe officielle Berliet/Renault VI, une CX pour Achim Warmbold et une R6 Rodeo 4x4 pour Jean-Pierre Jaussaud. Côté "italien", c'était quasiment une coupe monotype de Fiat Campagnola et des camions Fiat 75 PC 4x4, avec une très jolie Alfa GTV.
Fiat, très présent dans la Transafricana, cherchait à promouvoir ses camions Unic (d'origine Magirus-Deutz, donc) en France.
Bob Neyret et son équipe étaient disponible. Aseptogyl avait déjà aligné des voitures semi-officielles pour Fiat. Dont une 131 au Londres-Sydney, ainsi que des Lancia Stratos. Sans oublier une expédition au Brésil avec des 147 fonctionnant à l'éthanol. Bob Neyret connaissait très bien Jean-Claude Bertrand, pour avoir disputé le Bandama et l'Abidjan-Nice.
Bref, c'était un accord logique, qui arrangeait tout le monde. Esso et Solido permirent de boucler le tour de table. Trois Unic 190 AW U furent alignés. Marianne Hoepfner (qui avait fait parti de
l'aventure Moynet), Dominique Perrier (une "historique" d'Aseptogyl) et Anna Cambiaghi ("prêtée" par Fiat au Brésil et de nouveau ici) les pilotaient.
La Transafricana ne fut pas exempte de couacs.
A Agades, il devait y avoir un avion pour les rapatriements sanitaires et un avion ravitailleur. Ce dernier était en retard et la caravane reparti sans l'attendre. Au bivouac suivant, nombre d'équipages se plaignirent d'un manque de pièces, de carburant, de vivre, etc. On frôla la mutinerie. VS était d'autant plus remonté qu'il avait prévu de mettre en scène l'entretien de l'imposante armada Fiat. Les bidons d'huile et autres filtres à air étant dans l'avion. Equipé d'un mégaphone, Jean-Claude Bertrand du promettre que des camions allaient parti d'Agades allaient les rejoindre. VS pu tourner ses images, en pleine nuit.
La Libye fut un calvaire, faute de réelle piste ou de road-book (et bien sûr, en 1980, point de GPS.) Ce fut l'hécatombe chez les motards. Seuls les équipes usines Montesa et Morini (disposant de "Saint Bernard") purent poursuivre.
Seuls 52 des 162 concurrents (dont 6 motos) atteignirent Aix-en-Provence. Anna Cambiaghi remporta la catégorie camion. Les deux autres Unic Aseptogyl, ainsi que les deux Berliet étaient à l'arrivée. Soit 0% d'abandons des camions français !
Dominique Perrier apparut quelques mois plus tard, aux 24 heures du Mans, pour une démonstration de son camion. En l'occurrence, le "19" reproduit par Solido. Signalons que Marianne Hoepfner prit le départ de la course, aux côtés des frères Alméras, dans une Porsche 911. Course remportée par Jean-Pierre Jaussaud, sur Rondeau.
Il n'y eu pas de seconde Transafrica. Cela explique que l'exploit d'Anna Cambiaghi soit passé inaperçu. Alors qu'il faudra attendre la fin des années 90 et Jutta Kleinschmidt pour revoir une femme s'imposer en rallye-raid.
Thierry Sabine s'est rabiboché avec les grincheux (sans doute échaudés par l'épisode d'Agades) et le Paris-Dakar s'imposa comme LA course africaine. Bob Neyret revendit ses camions, dont l'un termina 5e du Dakar 1981.
Patrick Zaniroli, l'un des pilotes présents, fondera bien plus tard la TransAfricaine Classic.
Peu après la Transafrica, Bob Neyret fêtait ses 46 ans. Depuis une grosse quinzaine d'années, il avait été l'homme-orchestre de sa marque de dentifrices. Il avait sans doute envie de lever le pied.
L'une des grandes intuitions de Bob Neyret fut d'avoir démarché les supermarchés naissants. Dans les années 70, il avait monté une "équipe B" avec une hôtesse habillé en pilote et une A110 "civile" peinte aux couleurs d'Aseptogyl. Cette vraie-fausse écurie de rallye faisait le tour de France des supermarchés pour des opérations de promotion. Or, le nombre de supermarchés ne cessait de croitre. En 1981, il y en avait 427 en France ; quasiment le double du nombre de 1975. C'était le début des centrales d'achats, des accords globaux, des marges arrières, des négociations dont on ressortait avec un sentiment d'humiliation. C'est probablement ce qui le poussa à revendre à Henkel.
Après la revente, Aseptogyl apparu une dernière fois avec des Alfa Romeo GTV, au Monte-Carlo 1983.
Le groupe allemand avait conclut un Yalta du "blanc" avec Colgate-Palmolive, dans le cadre du rachat de Lesieur-Cotelle. Henkel se réorienta vers les produits distribués en pharmacies et Aseptogyl disparu. D'après l'INPI, la marque est complètement libre de droit.
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