(R)over

Voici une Rover 45 du facelift de 2004. C'est à dire l'une des toutes dernières Rover produites. La personne qui l'a achetée neuve ne savait sans doute pas que la boite était sur le point de couler.
Car malgré les dénégations, on sait aujourd'hui que l'entreprise prenait l'eau. Le "Phoenix Four" était à court de liquidité, l'état Britannique refusait de filer le moindre penny et SAIC attendait que la boite soit liquidée pour la racheter. Rover-MG en 2004, c'était le Titanic après l'iceberg. Voire le Titanic après que la coque se soit brisée en deux.
SAIC avait une espionne. La maitresse du patron -une Chinoise- les tuyautait discrètement sur l'état de l'entreprise. Ce que SAIC ne savait pas, c'est que cette femme était aussi la fille d'un des cadres de NAC. Une vraie agent-double ! Voilà comment NAC a pu mettre la main sur l'usine de Longbridge, ainsi que les MG ZR, ZT, TF et la Rover Streetwise. BMW avait fait valoir son droit de préhension de la marque "Rover". Quant à Honda, il racheta l'outillage des MG ZS et Rover 45, pour les faire détruire. La ZS/45 dérivait d'une Honda Civic des années 90 et les Japonais ne voulaient pas qu'un tiers fabriquent des voitures dérivant des leurs. NAC récupéra au moins une MG ZS. Renommée "MG4" ou "MG5", il prétendait qu'il allait la remettre en production, après les MG7 (ZT), TF et 3SW (Rover Streetwise.) Alors qu'il n'avait ni les droits, ni l'outillage de la voiture.

Tout ceci fut un vrai théâtre d'ombres. Et en attendant, notre acheteur de Rover 45 se retrouva sans concessionnaire 6 mois plus tard... Les MG-Rover sont de grandes victimes des primes à la casse. Voilà pourquoi j'ai voulu immortaliser cette 45...
L'histoire de BL>MG-Rover est connue. La plupart des analystes pointent du doigt un portefeuille pléthorique de marques avec énormément de doublons (le plus célèbre étant MG et Triumph), une valse des dirigeants et un outil industriel obsolète.

En fait, c'était tout une série de mauvaises décisions, à tous les étages.
Le 17 janvier 1968, British Leyland et British Motor Holding fusionnaient pour former BLMH (qui devint plus tard BL.) Néanmoins, ces deux entités étaient formées de sous-groupe qui venaient de fusionner. Le rythme de consolidation, au cours des années 60, fut si rapide que les entités n'avaient pas le temps de se réorganiser. Du coup, BLMH s'est retrouvé avec non pas deux pôles à consolider, mais cinq : l'ex-Groupe Nuffield (Austin, Morris, MG, Innocenti, Authi...), Jaguar (avec Daimler et Guy), Rover (avec Alvis -qui ne fabriquait plus que des blindés-), Standard-Triumph et British Leyland (poids-lourd.) Ces cinq pôles s'engagèrent dans une lutte à mort pour le contrôle de BL. Sans collaboration, ni synergies internes, donc. Nuffield fut le grand perdant. Ce qui le sauva, c'était qu'il possédait des marques généralistes (Austin et Morris, avec la Mini.) Mais MG fut sacrifié en 1980, pour délit de sale g.... (avec un retour dès 1982...)
BLMH était alors le premier constructeur Européen. Mais c'était un titre très honorifique. Car c'était avant tout un groupe Britannique. Comme de nombreux généralistes, pour lui, seuls comptaient son marché national et les Etats-Unis. La Grande-Bretagne traversa des difficultés économiques dans les années 70, ce qui n'arrangea pas les affaires du groupe. Au lieu de chercher à accentuer sa présence hors de Grande-Bretagne, BL choisit de liquider toutes ses usines et unités d'assemblage extra-Britannique ! Un moyen de gagner de l'argent à court terme, mais qui rendit BL>MG-Rover toujours plus dépendant du marché Britannique. Et d'ailleurs, plus tard, faute de culture de l'étranger, chaque tentative de réimplantation hors de Grande-Bretagne (Inde, Bulgarie, Chine...) furent autant de fiascos.
L'autre point, c'est que tous le monde pensait que BL était une rente, un acquis. Le planning de développement passa au second plan. Ce qui était étudié avant 1968 entra en production (notamment la Jaguar XJ6 et le Range Rover), mais en 1968, le robinet fut coupé et pendant plusieurs années, il n'y eu plus rien de neuf, jusqu'à la Rover SD1 (1976.) Et encore, les lancements furent très rares jusqu'au début des années 80. Le réseau était très atomisé, dans les campagnes Britanniques. Alors on ferma les petits garages, en se disant que le péquenots accepteront sans broncher de faire 50km pour acheter et faire entretenir leur voiture. BL n'avait pas perçu l'agressivité commerciale de Ford, puis de Vauxhall, qui prirent des parts de marchés en agitant un Union Jack et en gueulant : "Nous aussi, on est Britannique !" Et dans les usines, on pensait que les plans sociaux n'était là que pour gonfler les profits. On n'avait pas du tout conscience de la fragilité du groupe. L'extrême-gauche multiplia les grèves avec l'objectif de transformer BL en SCOP, première étape de l'installation d'une dictature du prolétariat (ce n'est pas un gag.) Or, ces grèves intempestives furent une cause supplémentaire de problèmes. Notamment car elles donnèrent envie aux dirigeants de fermer les sites où il y avait le plus de fauteurs de troubles...
Enfin, les nombreux dirigeants de BL>MG-Rover avaient presque tous en commun une vision court-termiste. Pour assainir, il fallait revendre et surtout, fermer. A partir des années 80, malgré le flop de la Triumph Acclaim, Austin-Rover était persuadé que l'avenir, c'était d'utiliser un maximum d'éléments provenant d'autres constructeurs. Du coup, en 2000, MG-Rover se retrouva avec un outil industriel rabougrit : une unique usine, des débouchés limités à la France, le Benelux et l'Océanie et surtout, l'incapacité de développer lui-même plateformes et moteurs. NAC et SAIC s'imaginaient qu'il suffisait d'appuyer sur un bouton pour que la marque reparte. Mais ils ont vite compris qu'en fait, c'était une coquille vide. Il fallait presque repartir de zéro...
La morale de BL, c'est que le N°1 Européen du jour peut sombrer demain. Rien n'est immuable dans l'automobile.
Néanmoins, je n'ai pas trop l'impression que les constructeurs ont conscience de cela. Trop de décisions sont prises suite aux crises d'égo, voire aux enfantillages d'un PDG. Durant les années 2000-2005, on avait vu une vague de consolidations très mal maitrisée (en particulier chez GM ou au Premier Automotive Group de Ford.) Les plans de restructurations permettent surtout de dégager des "quick win" qui feront plaisir aux actionnaires, en fin d'année, mais qui ont des conséquences à long terme. GM et Mitsubishi ont subi une sévère cure d'amaigrissement, quitte à perdre des savoir-faire et se couper de marchés. FCA, lui, possède un planning de lancement déplorable. Et en 2015, quand je suis allé à Milan, j'ai été surpris de voir à quel point, même en Italie, FCA avait disparu des rues...

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