Pour la mère patrie !

Je suis passé chez ArtCurial. Je n'étais pas invité (et je n'avais pas vraiment une tenue adéquate...), mais c'était ouvert. Dans l'entrée, il y avait cet improbable exemple d'ingénierie soviétique : le Tupolev A-3. Une carlingue d'avion de tourisme, posée sur une coque de canot, avec un moteur d'avion dans le dos !

Cet engin évoque immanquablement les grands espaces, notamment la Sibérie. Il faut se souvenir que l'actuelle Russie est plus grande que le planétoïde Pluton ! En France, il y a 116 habitants au km². A peine de quoi remplir les places assises d'UNE rame du métro parisien. En Russie, la moyenne est de 8,4 habitants au km²... Et si l'on ne compte que les territoires à l'est de l'Oural, on tombe à 2,7 habitants au km². Seul le Groenland fait pire !
Pour évoquer l'intérêt d'un tel aéroglisseur et plus largement l'intérêt de Moscou envers cette région a priori désolée, il faut revenir sur l'histoire géopolitique de la Russie.

Jusqu'au bas moyen-âge, il n'y avait pas de royaume structuré. Les Grecs avait fondé des cités dans l'actuelle Ukraine. A son apogée, l'Empire Romain s'était contenté de cerner la mer Noire et la mer Caspienne, sans rentrer dans les terres. Ce sont les vikings qui créèrent, à Kiev, le premier état Russe, au IXe siècle. Kiev était à la merci des barbares Khazars, puis Mongols. Sans compter les tensions internes. Au treizième siècle, Daniil Aleksandrovich hérita d'un petit village fortifié, Moscou. Il l'agrandit et y bâti un monastère orthodoxe. C'était le début du Grand-Duché de Moscou. Son fils, Ivan 1er, vainquit les Mongols. La Horde d'or mongole n'en resta pas moins un empire qui contrôlait l'Asie Centrale.
Au XVe siècle, Ivan III, dit Le Grand, aggloméra les provinces russophones. Il épousa Sophie Paléologue, héritière du trône Byzantin (conquise par les Ottomans quelques années avant sa naissance.) Ainsi, le Grand-Duc pu revendiquer la continuation de l'empire. Moscou était le nouveau centre de la chrétienté orthodoxe et Ivan III de s'autoproclamer "César" (tsar), comme le faisait les empereurs Romains. Mengli 1er, un roitelet turcophone de Crimée allié à Moscou, vainquit ce qu'il restait de la Horde d'or. Le petit-fils d'Ivan III, Ivan [IV] le Terrible, poursuivit les conquêtes. A force, il finit par buter sur les limites d'autres empires. A l'ouest, les Russes se retrouvait face aux Polonais, aux Lituaniens, aux Suédois et aux Allemands. Le tsar mena de ruineuse guerres contre eux, sans succès. En revanche, à l'est, il n'y avait plus de pouvoir structuré. Küçüm, un autre roitelet issu de l'éclatement de la Horde d'or, tenta d'envahir la Russie pour l'islamiser. Vaincu, il retourna en Sibérie occidentale. Ivan Le Terrible lança une expédition punitive, qui franchit l'Oural et rechercha Küçüm (qu'elle n'arriva pas à capturer.)
Ce fut le point de départ de la conquête de la Sibérie. Le tsar annexa le royaume de Küçüm et y installa des colons Russe. Les esclaves Slaves et Allemands servaient de supplétifs. Ivan le Terrible prit également l'ancienne capitale de la Horde d'or, qui devint bien plus tard Stalingrad... Au XVIIe siècle, des Russes s'élancèrent toujours plus à l'est. Fedot Alexeyev, commerçant un peu louche et Semyon Dezhnev, soldat illettré, auraient franchi le détroit de Béring. Mais ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient, ni où ils étaient. Ils cherchaient avant tout des fourrures et des défenses de morse, pour les revendre à prix d'or.
Bien plus tard, une expédition atteint le Kamtchatka, où ils découvrirent un pêcheur Japonais. Ramené à Moscou et présenté au tsar Pierre Le Grand. La Russie se découvrit un nouveau voisin. Désormais, il ne s'agissait plus seulement de lancer des expéditions de chasse ; il fallait agrandir l'empire autant que possible. A l'ouest, la situation restait bloquée. La Pologne et la Suède étaient vaincus, mais les Allemands et Austro-Hongrois s'étaient structurés... Au sud, le recul de l'empire Ottoman permit aux Russes de contrôler la mer Noire et la mer Caspienne. En Asie Centrale, la Route de la Soie n'était plus qu'un souvenir. Les villes qui servaient de relais étaient en ruine. Par méprise, les Russes appelèrent l'endroit Turkestan. Et bientôt, Kazakhs, Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks et Ouïgours créèrent un mythe d'empire unifié autour de ce néologisme... Plus au sud, c'était de hauts cols, où les Afghans organisaient des embuscades. Une région dangereuse. De toute façon, après, c'est l'empire des Indes, contrôles par les Britanniques. La route de la mer d'Arabie était donc bouchée. La Sibérie orientale permettait d'accéder à l'extrême-orient. Cela faisait longtemps que les Chinois avaient désertés la région. Les Russes soumirent les populations nomades, quitte à exterminer le gibier qu'elles chassaient. Bientôt, ce fut la construction du Transsibérien, avec son cortège de colonies Russes, qui apportèrent des maladies mortelles pour les nomades. Le premier traité avec la Chine fit long feu. La Russie rabota la Mandchourie septentrionale pour s'offrir un accès à la mer du Japon. Elle envahi la village d'Hanshenwei, qu'elle rebaptisa Vladivostok, avant d'en chasser les Chinois. Elle tenta de pousser plus au sud, mais elle tomba sur l'expansionnisme d'un autre empire : le Japon. A Port-Arthur (Dalian), en Chine, le Japon s'octroya la maitrise de facto de la Mandchourie et de la Corée (sans demander l'avis des intéressés, cela va de soit.)
Au début du XXe siècle, autant Nicolas II tient les villes d'une main de fer, autant son autorité est quasi-nulle au-delà de l'Oural... La reprise en main, par Lénine, puis Staline, fut féroce. Neutralisations des meneurs, déportations des populations les plus rebelles, impositions du russe et de l'alphabet cyrillique, interdiction de l'islam et du chamanismes... En 1933, le canal de la mer Blanche ouvrit une nouvelle ère : celle des travaux cyclopéens, réalisés par des Zek. Routes, ponts, voies ferrées, barrages, canaux... L'URSS ne se soucia guère de environnement, de la présence éventuels de villages ou du coût humain. L'intérêt de la mère patrie passait avant tout ! Après la guerre, nouveau plan fumeux. Les sous-sols de Sibérie sont riches : pétrole, gaz, uranium, charbon, nickel, or... L'exploitation se fit "à la Soviétique". Les nomades Sibériens avaient connu un sort guère différents de leurs lointains cousins d'Amérique du Nord. Désormais, ils avaient en plus droit à la pollution. Parfois aussi, l'URSS décréta que telle zone était sensible et les peuplades d'être relocalisées de force, tel les Nénètses de Nouvelle Zamble, dont l'île servait aux tests nucléaires...
Ce Tupolev représente cela. Une conquête d'espaces sauvages pour y imposer la modernité Soviétique. Tant pis pour la faune, la flore, les tribus locales. Cet engin foulait tout cela, avec des pointes à 120km/h. Au nom d'une étoile rouge frappée du marteau et de la faucille, affichée crânement sur ses dérives.

Slav'sya, Otechestvo nashe svobodnoye/Druzhby narodov nadyozhny oplot!/Znamya Sovetskoye, znamya narodnoye/Pust' ot pobedy k pobede vedyot!

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