Addio, Sergio

La maladie, puis la mort de Sergio Marchionne fut soudaine. Il personnifiait FCA, pour le meilleur et pour le pire. Sa disparition fut un choc. Les hommages se sont multipliés. Le respect à un homme, c'est une chose, mais cela tourne à un concours d'hypocrisie. Saint Sergio, priez pour nous ! Car le bilan de Marchionne est contrasté. Le PDG devait prendre du recul en 2019 et quitter FCA à l'horizon 2022. D'aucuns disaient : "Vivement la retraite !" Et j'en faisais parti...

Le Fiat pré-Marchionne
Sergio Marchionne entre chez Fiat comme membre du conseil d'administration en 2003. A ce moment-là, Fiat Auto, c'est le Titanic après l'iceberg ! L'emblématique PDG, Gianni Agnelli meurt. Son frère Umberto meurt à son tour en 2004. Lapo Elkann, héritier au propre, comme au figuré, explose en plein vol. Fiat Auto, c'est 2,1 millions de voitures par an. Le groupe est surtout présent en Europe du Sud et au Brésil. Il a complètement manqué le coche des SUV. Depuis 2000, GM possède 20% du capital, avec une option pour un rachat complet. Il fournit moteurs et plateformes aux voitures. Marchionne est alors élu PDG de Fiat Auto.

Qu'aurait été un Fiat sans Marchionne ? Faisons un peu d'uchronie. Sans Marchionne, les Agnelli auraient vendus tant bien que mal à GM. En 2008, lors de sa faillite, GM aurait placé Fiat dans Motors Liquidation Company (alias "l'old GM".) VW aurait repris Alfa Romeo. Tata aurait mis la main sur Ferrari. Resterait Fiat et Lancia, vendu à un investisseur pas très solide et il aurait sombré vers 2010-2011.

Pain blanc
A sa prise de fonction, Marchionne coupe les liens avec GM. Il pousse au lancement de la 500 et force Alfa à descendre en gamme avec les Mito et Giulietta. En 2009, Fiat Auto produit 2,46 millions de voitures, passant de la 11e à la 9e place mondiale. Mais ses finances restent fragile.
Au même instant, Chrysler, lâché par Daimler, va très mal. Une marque trop centrée sur les Etats-Unis, avec une gamme vieillissante. Elle plafonne à 960 000 unités.
Daimler était encore actionnaire minoritaire. En cas de naufrage des Américains, on l'aurait sans doute forcé à payer l'addition. Il était donc bien content de filer ses parts à Fiat Auto. Chrysler apporte ses SUV et ses grosses cylindrées. Fiat apporte ses compactes. Les deux marques sont a priori complémentaires.

Fiat plafonne, mais la croissance Américaine donne un nouvelle élan à Chrysler. Les ventes US doublent et lorsque FCA voit le jour, en 2014, il produit 4,85 millions de voitures. C'est le 7e groupe mondial.
Euphorique, Marchionne annonce 7 millions de véhicules en 2018, avec une vraie mise à jour des modèles du groupe. Lancia est bazardée. Luca di Montezemolo, le rebel rebel de Ferrari, est écarté.

Pain noir
Le pari du PDG, c'est que FCA ne devait être qu'une étape dans la consolidation du marché mondial. Il songeait à une fusion avec GM (mais davantage d'égal à égal qu'en 2004.) Il tenta de vendre FCA à Hyundai, Great Wall ou GAC, en vain. En attendant, la gamme vieillissait sérieusement. La plupart des véhicules annoncés n'ont pas été lancés, faute de budget.
En 2017, FCA vend 4,79 millions de voitures. Sachant qu'il y a un toujours delta entre les ventes et la production, cela représente grosso modo le chiffre de 2014. Pas moins, mais pas plus.

Le nouveau plan met la barre à 5,2 millions de ventes pour 2022. Au menu, de nombreux SUV pour Jeep et Alfa. Par contre, ça sera le service minimum pour Chrysler et Fiat.
PSA a connu des heures difficiles, vers 2012. Comme Fiat, c'était à la fois une question de vision et d'hommes. Non seulement Carlos Tavares a su éponger les dettes (le plan "back in the race"), mais il a su donner une nouvelle impulsion ("push to pass".) Un deuxième volet sur lequel Marchionne est absent. Par contre, il se fait régulièrement remarquer pour ses fanfaronnades et autres provocations. Comme d'annoncer récemment que FCA n'était pas obligé de produire sur le sol italien. Lorsqu'on est un vrai leader, on peut se permettre de dire ce que bon vous semble. Or, vu la situation de FCA, Marchionne joue davantage les Logan Paul...

Et maintenant ?
Non seulement Marchionne est décédé, mais son héritier, Afredo Altavilla, a décidé de démissionner. FCA dispose d'un tandem inédit : John Elkann, frère de Lapo Elkann et Mike Manley, venu de Jeep. FCA a connu une croissance quasi-nulle depuis 2014... Oui, mais les autres ne l'ont pas attendu. Du coup, Honda le double à la 7e place mondiale. Avec 4,1 millions de ventes en 2018, PSA pourrait doubler FCA à court terme...

En Europe, la marque "Fiat" a perdu de sa superbe. C'est la 500, point. Alfa Romeo vend des grandes berlines et des gros SUV de plus en plus malussés. Dans son plan-testament, Marchionne avait promis des SUV compacts et des hybrides. Espérons qu'il tienne parôle outre-tombe... Surtout, FCA n'est présent qu'en Europe et aux USA. Deux marchés saturés, avec peu de croissance attendue. Le Brésil et les quelques 200 000 ventes en Chine ne peuvent compenser cela.
VW, Renault et PSA l'ont bien compris. Ils mettent le paquet sur les pays émergents : Maghreb, Afrique Sub-saharienne, Asie centrale, Asie du Sud-est, sous-continent Indien... Autant de pays où FCA est peu, voire pas présent. Un comble lorsqu'on se rappelle comment Fiat avait défriché la Méditerranée, l'Europe orientale, l'Inde ou le Brésil, durant les années 50-60-70...

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