L'Amérique Européenne

Quand j'ai vu passer cette Fiat 124 Spider, j'avais la flemme de sortir mon portable. Je me suis dit : "Si la voiture était garée, je l'immortaliserais !" Et quelques décamètres en contrebas de cette rue en courbe, je découvre la voiture, garée sur le bas-côté !

Entre parenthèse, ce n'est pas malin de se garer là. Le virage est étroit et à l'aveugle. Pour peu que quelqu'un veuille faire un écart, pour éviter un véhicule à contresens, il ne verra pas une éventuelle voiture garée et paf !
En fait, ce n'est pas une Fiat 124 Spider, mais une "Pininfarina 124 Spidereuropa".

La Fiat 124 Sport Spider avait quitté le catalogue de Fiat France au milieu des années 70. En revanche, elle était toujours vendue aux Etats-Unis. Fiat y vendait également la 124 Sport (coupé), la Ritmo (sous le nom de Strada) et la Lancia Beta Monte Carlo (alias "Scorpio".) En 1980, la puissance agence fédérale National Highway Safety Bureau attaquait Fiat : ses voitures rouillaient beaucoup trop. Fiat fit appel et en 1981, le juge confirma le jugement.
Malcolm Bricklin déboula à cet instant. Avec sa structure International Auto Importers (iAi), il reprit à son compte la distribution de Fiat aux USA. Pininfarina et Bertone, qui produisaient respectivement la 124 Spider et la X 1/9, rebadgèrent ces voitures. Bricklin repositionna la 124 Spider comme un roadster luxueux, l'Azzura. Il expliquait que la 124 Spider était une "mini-Ferrari" et qu'elle en offrait autant qu'une 500SL, pour le tiers du prix ! A cette occasion, Pininfarina décida de la distribuer en Europe, sous le nom de Spidereuropa. Notez au passage les épais pare-chocs, typique des Américaines de l'époque.
Trop chère, trop vieille, la Pininfarina 124 Spider fut un demi-succès aux USA. Cela incita sans doute Bricklin à jeter l'éponge. A moins que Cadillac n'ait fit pression sur Pininfarina pour qu'il arrête la production (afin que les gens ne compare pas la 124 Spider et l'Allante, également produite en Italie.) D'autres encore accusèrent Fiat (qui fournissait certains éléments à Pininfarina) de ne plus vouloir commercialiser les pièces. Après tout, avec la baisse des volumes, l'intérêt économique était limité. Notez enfin que vers 1985, l'Istituto per la Ricostruzione Industriale (IRI), propriétaire notamment d'Alfa Romeo, était en difficulté et Fiat était sur le point d'absorber la marque milanaise. Le Spider Alfa était un concurrent trop redoutable pour la 124 Spider...
Bref, tout le monde avait intérêt à arrêter la production de la 124 Spider. Elle quitta la scène en 1985. Bricklin se lança dans l'importation de Yugo. Miro Kefurt assura seul la distribution US de la Bertone X 1/9... Tout en étant également l'un des concessionnaires Yugo USA. Cela dura jusqu'en 1990.
Malcom Bricklin est un drôle de personnage. De la Subaru 360 à Visionnary Vehicle, il a réalisé des "coups". On peut le comparer à Bernard Tapie ou à André Guelfi, sauf que eux, ils ont fini en prison. Pas lui !
Bricklin, c'est un Preston Tucker qui a réussit. Tucker aussi, il a tenté toute sa vie de monter des entreprises ("la" Tucker n'étant ni la première, ni la dernière...) Ses idées étaient bancales : sous-financées avec un planning irréaliste, un personnel insuffisant et des ambitions irréalistes... Tucker voulait gagner le Prix de l'Arc de Triomphe avec un poney monté par un jockey recruté dans les tribunes de l'hippodrome ! Après coup, les gens se disaient forcément : "Ca avait 0% de chance de marcher. Soit il est idiot, soit c'est un escroc de pacotille..."

Bricklin, lui, il était beaucoup plus subtil. Par exemple, en 1981, lorsqu'il a fondé iAi, il devait forcément savoir que la 124 Spider était en extrême fin de carrière. Pininfarina n'avait pas les moyens de développer seul un véhicule (d'ailleurs, il ne se dota d'une division "ingénierie" qu'au moment du rachat de Matra.) Quant à Fiat, il n'avait aucun projet de spider, préférant miser sur la Ritmo cabriolet. Mais il avait su bercer les gogos. La règle N°1, c'était de se constituer une "dream team". Ici, pour la brochure distribuée aux concessionnaires, il posait avec Nuccio Bertone et Sergio Pininfarina. On l'a vu, il évoquait Ferrari...
En parallèle, il préparait déjà le coup d'après. Dès 1984 (un an après le lancement de la 124 Spidereuropa/Azurra), il s'embarquait par la Yugoslavie aux côtés d'Henry Kissinger (toujours cette obsession des noms ronflants...) pour négocier avec Yugo. La dernière étape, c'est l'excuse. Ici, Cadillac qui aurait forcé Pininfarina d'arrêter la production de la 124. Ce n'est pas de ma faute, je ne peux pas vous rembourser votre argent. Moi aussi, je suis une victime, dans cette affaire...

Bricklin embarquait des gens dans un vieux coucou, qui avait peu de chance d'arriver à destination. Et ce que les passagers ne savent pas, c'est que Bricklin a enfilé l'unique parachute...
Pour iAi, il y avait deux parachutes. Miro Kefurt en avait un. Il fonda M.I.K. Automotive, sur les ruines de iAi et importa les Bertone X 1/9.

C'est le bonus du jour : la vie de Miro Kefurt.

Miroslav Kefurt Sr était un pionnier du rock Tchécoslovaque. Dans les années années 60, le régime se durcissait et il n'était plus question de jouer du rock... Le guitariste parti avec femme et enfant aux Etats-Unis. Le patriarche remonte un groupe, en Californie. Miroslav Kefurt Jr, son fils, préférait la mécanique auto. Une nuit de 1977, la police découvrit Miro (Jr) plein de sang ; son père et sa mère ont été poignardés. Le mécanicien déclara que son père a poignardé sa mère et qu'en voulant la défendre, il a poignardé son père. La police trouva un reçu pour l'achat de deux couteaux, au nom de Jr. Le suspect semblait déjà condamné à mort, mais le procès traina. En 1981, les charges furent levées pour vice de procédure.
L'année suivante, Kefurt fonda YugoAuto, avec l'objectif d'importer la marque aux Etats-Unis. Apparemment, les débuts furent laborieux. Kefurt aurait vendu YugoAuto à Bricklin, qui la transforma en Global Motors. En parallèle, Kefurt créa donc M.I.K. Automotive, en 1986.
A la fin des années 80, la production de la X 1/9 s'arrêtait et la Yugoslavie implosait. Kefurt déménagea à Las Vegas et se lança alors dans Lube-4-life, un lubrifiant soi-disant conçu par la NASA pour offrir une lubrification à vie des voitures.
En 2000, Kefurt annonça qu'il allait vendre l'OKA. Cette microcitadine Russe était produite par Vaz (Lada), Kaz (Kamaz) et Seaz. Ce dernier était surtout connu pour ces voitures pour handicapés. Kefurt se fournissait chez Seaz. Il exposa au salon de Los Angeles 2004 une Oka. Il reconnaissait que la voiture ne répondait pas aux normes US de pollution et de sécurité. En 2005, Vaz arrêta de produire l'Oka. Or, il fournissait des moteurs aux deux autres unités. Seaz passa un accord avec FAW, qui lui fournit le 3-cylindres ex-Daihatsu de la Xiali. Or, en vue des JO de Pékin 2008, la Chine bannit la Xiali, trop polluante. En 2008, Seaz fit faillite. Kefurt se voulait rassurant. L'administration Bush encourageait la production de voitures électriques. Il présenta donc une Oka electrifiée. Elle devait être produite à partir de 2011...
Aux dernières nouvelles, Kefurt tente de commercialiser un clone de Meccano, Konstrukt-it.

Commentaires

Articles les plus consultés